Encore une fois, Guillermo del Toro est un cinéaste avec lequel j'ai pourtant pris un mauvais départ, lorsque j'avais à peine 10 ans, mon père m'a montré (sans prévenir bien sûr, du côté horreur hein ^^) son film culte, l'adulé, encensé conte fantastico-horrifique hispano-mexicain" Le Labyrinthe de Pan" (2006)...qui m'avais franchement bien mis mal à l'aise à l'époque (il n'empêche qu'au delà du mauvais souvenir que j'ai gardé du visionnage, je suis tout de même conscient de l'excellence esthétique et narrative de l'oeuvre). Ce n'est que bien des années après que j'ai eu un coup de coeur pour l'oeuvre du réalisateur mexicain, essentiellement lorsque j'ai découvert il y a deux ans le jouissif "Pacific Rim" (2013). Blockbuster titanesque de Science Fiction, véritable Transformers VS Godzilla très inspiré de l'anime mère des méchas culte, "Neon Genesis Evangelion" (1995-1996) d'Hideaki Anno sensei, qui juste.....WAOUW (!), m'avait ni plus ni moins collé l'une des plus grosse claque visuelle cinématographique dans le genre SF avec "Avatar" et Star Wars VII (qui ont étés rejoins ensuite par "Interstellar" et "Blade Runner 2049". Après quoi, j'ai continué à explorer la filmographie de celui à qui l'on a proposé par deux fois le poste de réalisateur aux opus de la saga Harry Potter, ainsi que la réalisation du Hobbit (avant le retour de P.Jackson), avec les deux adaptations des comics de Mike Mignola "Hellboy" (2004) et "Hellboy II: Les Légions d'or maudites" (2008), films de Monstres/SF franchement de très bonnes factures esthétiquement !
2 ans après le monstrueux échec financier de son film d'horreur gothique "Crimson Peak" (2015) malgré le trio Hiddlestone/Wasikowska/Chastain (74 millions de dollars de rentabilité pour un budget de 55 millions), revoilà donc Guillermo sur le devant de la scène avec "The Shape of Water" !
Je suis pas du genre à généralement éprouver une méga grosse impatience envers ces films qui sont hyper médiatisés par les Oscars et autres cérémonies à prix prestigieux mais là, la bande annonce avait clairement crée quelque chose en moi, quelque chose qui avait su ouvrir les vannes de ma curiosité d'apprenti cinéphile.
Bon, "La Forme de l'Eau", " The Shape of Water" de son titre original, 12ème film de Guillermo del Toro (et son 10ème long métrage), généreusement récompensé du Lion d'Or au festival du Cinéma de Venise l'année dernière, et auréolé de 4 Oscars, nous raconte l'histoire d'Elisa Esposito.
L'histoire prend place au temps de la Guerre Froide, en pleine période de tension entre les Etats Unis et l'URSS, tous deux sur les dents. Elisa Esposito, modeste femme de ménage muette, travaillant dans une imposante structure scientifique de l'état de Baltimore, mène une vie extrêmement monotone et routinière, à se lever le matin, manger des oeufs, prendre le bus, nettoyer les sanitaires et les sous sols mal éclairés des laboratoires du centre de recherche...tout ça dans le plus discret des silences, aux côté de sa collègue et amie Zelda. Mais le quotidien triste d'Elisa bascule le jour ou l'armé ramène dans les laboratoires une expérience classée top secrète par le gouvernement, une créature d'homme-amphibien qu'ils gardent enchaînée dans un bassin. La muette se rapproche alors de la créature en nettoyant le local jour après jour jusqu'à finir par éprouver des sentiments pour le pauvre homme poisson faisant les frais de maintes tortures des dirigeants du labo, persuadés que la forme de vie pourrait d'une quelconque manière leur servir à distancer les russes.
Elisa prendra alors tous les risques tous les risques pour parvenir à faire échapper la créature du laboratoire.
Parviendra-t-elle à faire évader l'homme amphibien ? Qu'est donc réellement cette créature et de quoi est elle réellement capable ? Pourront-ils vivre leur histoire d'amour, par delà les mots ?
Voilà pour le pitch global sans trop en spoiler.
Verdict : Eh ben une sacrée claque ! En voilà un qui a pas volé toutes ses nominations aux Oscars !
De la poésie cinématographique à l'état pure et brute !!!
Entre "La Belle et la Bête" de Disney (1991), "Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain" de Jean-Pierre Jeunet (2001), "L'Etrange créature du lac noir" de Jack Arnold (1954) et "Hellboy", "La Forme de l'Eau" est tout simplement un aboutissement en sois, l'aboutissement du cinéma de Guillermo del Toro qui signe ici la plus magnifique et la plus profonde de ses oeuvres à travers un regroupement synthétique de tous les standards de son propre style pour atteindre enfin sa pleine "maturité cinématographique" ! Guillermo nous livre ici une vraie pépite venue tout droit du fond de l''océan, bien avec la marque "made in del Toro" témoignant encore une fois de l'amour intéressé sans borne que le réalisateur de "L'échine du Diable" (2001) voue aux Monstres. Couloirs sombres mal éclairés, fantaisie horrifique, parfaitement dosée entre violence et légèreté d'évasion/rêverie ! Le réalisateur est dans son élément et donc 100% à son aise, 0 tromperie sur la marchandise et la qualité est là !
Le scénario de "La Forme de l'Eau", s'il serait de mauvaise fois de soutenir qu'il est fondamentalement original (la ressemblance avec "La Belle et la Bête" coule de source et on pourra citer le film d'animation français "Un Monstre à Paris" de 2011 comme autre référence possible) n'en reste pas moins écrit de la plume de véritable poète !
Drôle, léger, agréable, fantaisiste mais aussi parfois dans le sang, entre Fantastique, Drame et Romance aux accents réduits d'Horreur, hommage aux films d'horreur de la Fox et de la MGM des années 30-40 comme les vieux "Dracula", "Frankenstien" ect des Browing, Whale, Cooper/Schoedsack, doublé de quelques influences expressionnistes et Film Noir pendant 2h, Guillermo nous file masque et tuba et nous fait fait littéralement plonger dans son film, le réalisateur sait parfaitement saisir le spectateur et l'emmené dans SON univers, son océan.
Le scénario de "La Forme de l'Eau" pourrait tout bonnement être semblable à un coquillage renfermant une perle, ça apparaît déjà vu mais vous savez, il y a une différence fondamentale entre ingurgiter des clichés pour les recracher alignés les uns avec les autres comme une suite....et savoir rester à une distance correcte pour savoir leur insuffler de la personnalité. Del Toro c'est tout juste ce qu'il arrive à faire de avec beaucoup de soin, de grâce et d'élégance, il arrive à personnaliser des clichés pour les faire siens, les styliser pour arriver à les sublimer. Le film grouille d'influences cinématographiques mais jamais ne coule, jamais le réalisateur de "Blade 2" ne se noie dans son océan de références.
C'est simple, le sentiment, la sensation presque physique on aurait envie de dire, qui nous anime pendant le visionnage de "The Shape of Water" c'est que nous sommes nous même sous l'eau, complètement immergé dans les profondeur, en apnée....c'est ça, un véritable état d'apnée de nos yeux devant cette poésie, tellement dans la contemplation qu'on retient notre souffle !
Dès le départ, tout est posé, tout est là sous nos yeux, tous les outils, toutes les clés, toute la beauté immense du film !
Vous savez, c'est pas compliqué, tout est dans le titre, c'est explicite et même pas sorcier à comprendre, "The Shape of the Water" est un film sur L'EAU ! L'eau est la clé de toute(s) lecture(s), toute compréhension du film, sa source et son essence même; le truc qui fait que ce film gagne une originalité dont il demeurait pourtant plus ou moins privé (en fonction de si oui ou non on est réfractaire aux clichés et quel degré de tolérance on en a par rapport) au commencement sur le papier. L'eau est TOUT, absolument TOUT dans ce film ! Personnages, décors, jeu d'acteur, mise en scène....l'élément liquide a un pouvoir immense !!
Déjà, prenez la toute première séquence,
qui s'ouvre avec un sublime plan séquence sur un décor aquatique au fond de l'eau, avec la caméra avançant vers ce qui semble être une épave de bateau avant de passer dans le couloir de l'appartement d'Elisa et ensuite dans son appartement avec un panoramique au ralenti ou tout l'environnement est rempli d'eau avec les chaises, les objets, les horloges (très important les horloges ^^) sont en lévitation....en même temps que parle la voix off du narrateur externe, ouvrant sur la dimension onirique.
Dès ce premier plan, Del Toro nous en met plein la vue avec ce qui compose quasiment vrai tableau esthétique ! Tout est dit, tout est montré, l'eau est et sera omniprésente.
L'eau n'est en aucun cas à prendre comme un élément décoratif vide de sens (oh là là la grosse erreur o_O), c'est un élément abstrait et concret en même temps (le titre imprécis étant la "forme" laisse entendre qu'elle n'en a pas de définie).
Tous les hommes sont composés à plus de 60% d'eau, eh bien dans le film de Del Toro, l'eau c'est une énergie de vie, c'est ce qui influe, ce qui détermine les comportements humains des personnages du film.
Elisa bien évidemment; d'abord introduite par la dimension fantastique comme la "princesse endormie des eaux",l'eau et son rapport avec est ce qui la caractérise de toutes part.
La caractérisation d'Elisa par l'eau passe d'abord par l'environnement, l'héroïne muette, isolée (et même frustrée dans son désir) nous apparaît comme prisonnière de sa routine, de ses longs couloirs sombres, de ce monde scientifique, sentiment d'enfermement du personnage résultant d'abord de l'enchaînement rapide et répété de mêmes plans. Le personnage est en fait symboliquement, un poisson coincé dans un aquarium; le personnage "étouffe" dans un quotidien répétitif à souhait, et finalement, ne "respire" qu'au contact de la créature amphibienne (donc de l'eau). En ce sens, le personnage répondrait aux "Devenirs" dans l'Art théorisés par Gilles Deleuze (1925-1995). Comme Jeff Goldblum dans "La Mouche" de Cronenberg (1986) ou le protagoniste Seth Brundle dérive de l'humain vers la mouche, Elisa Esposito chez Del Toro, tend indirectement à dériver vers l'état de poisson
(devenir poisson qui se réalisera bien à la fin puisque le personnage aura des branchies de poisson).
L'Eau est à la fois bienfaitrice, protectrice, elle a une fonction de refuge pour les personnage, une barrière d'intimité, et en même temps, un élément menaçant. Dans les 2 cas, dans le film, l'eau est liée aux pulsions des personnages.
Elisa s'abandonne à la créature avec qui elle a des rapports dans la salle de bain inondée, même au début lorsqu'elle prend du plaisir seule pour soulager sa frustration (comme si l'eau avait la fonction de réveiller les pulsions sexuelles).
En même temps paradoxalement,
au moment ou Strickland tue de sang froid Hoffsteler, la pulsion du meurtre du personnage ressort sous la pluie, comme une sorte de punition divine.
On peut retrouver ici des allusions aux symboliques religieuse de l'élément liquide (une identité spirituelle, l'expression de Dieu, la purification, la pureté et tout simplement la Vie).
Des personnages très vrais, très humains dotés d'âme, de profondeur, d'imperfections, de désirs....magnifiquement campés ! Sally Hawkins est d'une justesse hallucinante et poignante à souhait, sous l'aile de Guillermo ! L'actrice de "Blue Jasmine" (2013), "Godzilla" (2014) et "Paddington" (2014) est une sirène d'une incroyable beauté sobre. Michael Shannon, l'acteur de "Mud" (2013),"Man of Steel" (2013), "Midnight Special" endosse le rôle de l'antagoniste froid et cruel. On retrouve ici la même thématique que chez Tarzan, la Belle et la Bête ou King Kong a savoir, la rencontre entre monde primitif et monde civilisé, les deux ayant des pulsions (on est pas loin du Fritz Lang style "Chasse à l'Homme" de 1941 là) et les deux ne pouvant cohabiter. Pourtant, Guillermo dresse ici un éloge sensible de la différence et de la monstruosité !
Il y a aussi un élément important à relever, directement connecter à l'eau, c'est le Cinéma lui même. A votre avis, est ce anodin si l'appartement d'Elisa est situé juste au dessus d'un cinéma ?? Là encore rien n'a été placé au hasard dans l'environnement du film (déjà, on pense facilement à "Inglorious Bastards" de Tarrantino....lequel en passant, on retrouve quelques traits lointains). Le Cinéma et l'eau qui sont deux "miroirs" de la vie, sont ici superposés.
Le fait qu'Elisa vivent une histoire d'amour avec un homme-amphibien, le fantasme du personnage féminin, son envie de vivre quelque chose d'extraordinaire qui la sorte de ses serpillières quotidiennes....peut se traduire comme un désir.....de cinéma ! ^^
Elisa est comme nous, elle est dans le film le reflet du spectateur de cinéma (voyeuriste) rêvant de cinéma, rêvant de spectacle, en + d'être une transposition de Guillermo dans son amour des monstres. Comme le spectateur de cinéma, Elisa recherche du spectacle, comme un désir enfoui de cinéma, et le Monstre serait le cinéma (donc en fait, la muette serait en plus de ça, "prisonnière" de l'écran en même temps qu'elle est enfermée dans sa routine, écran de cinéma qui serait comme l'aquarium suggéré, métaphorique dans lequel Elisa, poisson en devenir serait prisonnière).
Simple, sobre et sublime, pour conclure, "La Forme de l'Eau" de Guillermo del Toro est une claque esthétique en grand, entre "La Belle et la Bête", "Hellboy" et d'autre, nourrit d'influences cinématographiques multiples, le film confirme que Del Toro est bien un réalisateur de génie et je viens de reprendre une claque de plus de sa part.
Si Del Toro est absent de la réalisation de "Pacific Rim: Uprising", ce dernier reste quand même à la prod' et au script donc impatient de voir la nouvelle guerre méchas vs kaijus qu'il a initié 5 ans plus tôt.
En attendant, on retrouvera Guillermo en 2019 puisque celui ci travaille cette fois sur le remake d'un Film Noir, "Nightmare Alley" d'Edmund Goulding (1947). Hâte de voir ce qu'il va nous en faire !!