Depuis le début de sa carrière, Guillermo Del Toro éprouve une fascination, une admiration pour la figure du monstre. Ce fameux personnage essentiellement employé comme un antagoniste bon à se faire trucider ou du moins à ne jamais se faire comprendre du reste de l’Humanité.
Avec La Forme de l’eau, Del Toro se réapproprie les codes du genre du film de monstre des années 50 et en profite pour définitivement assumer l’une des idées qui parsèment son œuvre depuis tant d’années : la relation entre l’humain et la créature.
Plus qu’une simple histoire d’amour, La Forme de l’eau est avant tout l’aboutissement des idées et de la carrière de son réalisateur. Un film pour le moins personnel qui comme pour le Labyrinthe de Pan, arrive à jouer sans aucun problème avec mes émotions.
L’histoire se déroule en 1962, au cœur des années turbulentes de la Guerre Froide. Elisa Esposito, femme de ménage muette et solitaire, travaillant au sein d’une base scientifique du gouvernement américain, voit sa vie basculée le jour où elle découvre une mystérieuse créature aquatique enfermée dans une des salles du complexe.
La Forme de l’eau est donc un conte fantastique, une romance inattendue qui a pour toile de fond la période très particulière du début des années 60 et sa société américaine conservatrice et paranoïaque. Terminée l’échappatoire de la romance gothique à la Crimson Peak où le fan-service à la Pacific Rim, Del Toro s’éloigne de ces derniers univers pour embrasser à nouveau celui de l’histoire tumultueuse de XXIe.
La Guerre du vietnam, la crise des missiles de Cuba, l’assassinat de Kennedy, au cœur de cette période, véritable maelstrom d’évènements, Elisa est un élément indésirable : Muette, pauvre, immigrée et solitaire, elle peine à trouver sa place au sein d’une société qui, au pire, se moque d’elle, au mieux, l’ignore purement et simplement.
La solitude, le rejet, le jugement de la société sur les individus, l’acceptation de l’autre, le rôle de la sexualité sont des thématiques bien présentes qui offre au film une dimension de conte fantastique à la fois romantique, poétique et social. Le choix des années 60 est d’autant plus pertinent qu’il fait écho à une situation présente de plus en plus complexe où les appétits militaires et la haine de l’autre ne sont jamais très loin.
Dans ce contexte difficile, la venue de cet être amphibien qui se trouve dans une situation et un état d’esprit très proche de celui d’Elisa va permettre à cette dernière de se sentir acceptée et de connaitre une forme de bonheur qu’elle peine à retrouver auprès de ses congénères.
Auprès de lui, elle ne se sent ni insultée, ni jugée, ni rabaissée et c’est de cette façon que La Forme de l’eau propose une histoire d’amour crédible et passionnée qui ne se montre jamais idiote, incohérente ou niaise. Une romance moderne portée par deux âmes égarées différentes sur la forme mais finalement semblables sur le fond. C’est beau, c’est puissant, c’est teinté de poésie et de mélancolie et mon côté fleur bleue ne peux pas rester insensible à cette lueur généreuse remplie d’espoir, d’optimisme et d’Humanité. En clair : j’ai versé ma petite larmichette, je l’avoue.
Si cette romance entre Elisa et l’amphibien est au cœur du récit, le film s’attarde néanmoins sur une galerie de personnages qui ont chacun leurs propres scènes et leur propre personnalité. Comme les 2 tourtereaux, chaque personnage du film est plus ou moins en décalage avec la société dans laquelle il vit, suffisamment pour insuffler le sentiment d’être rejeté ou incapable de s’y intégrer. Zelda est une afro-américaine sans le sou et incapable d’éprouver des sentiments bienveillants envers son mari, avatar de l’Homme soumis aux autorités par la peur et la pression. Giles, le meilleur ami d’Elisa est un Homosexuel au chômage, fataliste et détruit moralement par sa propre condition.
Dimitri est un espion russe, tiraillé entre ses valeurs humanistes et la cruauté de sa hiérarchie qui lui impose des ordres peu éthiques et un isolement constant.
Et il y a bien évidemment le personnage de Strickland, figure du militaire en apparence totalement absorbé par le système, du méchant vicieux, cruel et abominable dans toute sa splendeur. Sauf que même lui est en définitive malheureux dans sa solitude : Il voit chaque conversation comme un rapport de force, l’acte de consommation comme un moyen facile d’atteindre le bonheur et l’americain way of life comme une norme à suivre même si elle ne lui convient pas.
En bref chaque personnage se fonde sur des archétypes et dispose de suffisamment de matière pour offrir à l’intrigue un point de vue différent ainsi que pour dresser un portrait de l’époque.
Non seulement, j’ai été intéressé par les personnages du film mais j’ai également été bluffé par les performances des acteurs.
S’il est toujours agréable de voir Michel Shannon cabotiner en bon gros méchant autoritaire, j’avoue que le jeu de Sally Hawkins m’a littéralement bouleversé. Elle incarne avec une maitrise et une justesse son personnage de femme muette qui me laisse encore pantois. Ses manières, son visage, ses expressions…Hawkins joue Elisa à la perfection et insuffle à son personnage une humanité, une fraicheur qui a réussi à me faire décrocher des sourires d’admiration tout au long du film.
Le reste du casting n’est pas en reste avec une Octavia Spencer pleine d’émotion et combative, un Richard Jenkins toujours aussi charismatique et un Doug Jones éternellement à l’aise dans ses costumes de créatures semi-oniriques.
D’un point de vue visuel, j’ai également trouvé le film généreux et accrocheur. Profitant du contexte des années 60, Del Toro s’amuse avec une imagerie retro qui respecte les codes culturels de l’époque tout en apportant une petite touche de rétrofuturisme pertinente.
C’est suffisamment sobre pour offrir un aspect authentique et suffisamment singulier pour offrir au film sa propre petite patte.
La mise en scène m’a également charmé avec une utilisation des couleurs (RGB) judicieuse pour mettre en avant les thèmes ainsi qu’une maitrise complète de l’image qui souligne constamment le propos ou le sens de l’œuvre sans jamais se montrer maladroite ou boursouflée comme sur Crimson Peak.
Tout cela emporté par une bande-son signée Desplats qui alterne constamment les notes comme les mouvements d’une vague. C’est beau et entraînant à défaut d’être incroyable.
Donc, que dire ? Il est évident que j’ai tout simplement adoré la Forme de l’eau. Guillermo Del Toro signe ici un film fantastique, jamais cynique ou désabusé, une œuvre généreuse, honnête, touchante et personnelle.
Difficile de savoir si le film plaira à tout le monde tant l’empathie est un élément essentiel pour l' aimer mais pour ma part, j’ai été conquis et je suis sorti de la séance, heureux et sur un petit nuage.
Une belle petite pépite.
PS : Et je revendique pleinement mon côté fragile et fleur bleue, na !
Tendresse et chocolat !