Guillermo del Toro et moi, ça fait un moment qu'on est de bons copains.
Je ne saurais dire quand ça a débuté. Lorsque j'ai découvert la trilogie Blade dont notre ami mexicain a réalisé le second volet qui est très clairement le meilleur des 3 ? Ou peut-être avec son Hellboy 2 que j'étais allé voir au cinéma avec mes grand-parents ? Je ne sais plus, n’empêche qu'il m'avait instantanément tapé dans l’œil, que ce soit avec ses films orientés divertissement comme Hellboy 1 et 2 ou son excellent Pacific Rim qui est devenu un gros gros coup de cœur, ou avec ses films plus personnels comme l’Échine du Diable ou, évidemment, Le Labyrinthe de Pan, qui est devenu immédiatement un film culte et qui m'a foutu une grosse claque la première fois que je l'ai vu. Tous ces films avaient quelque chose en commun : Une patte, une identité très affirmée, une sincérité propre au cinéma de Guillermo. Et autant vous dire que j'attendais son prochain film avec beaucoup, beaucoup d'impatience.
[Attention, ça spoile un petit peu]
Ainsi, j'ai découvert La Forme de l'Eau (avec 2 jours de retard, rogntudjuuuuu !) sans rien en savoir à l'avance. Et bons Dieux, comme c'était merveilleux !
Guillermo semble revenir aux fondamentaux. Après avoir tout fait exploser avec son Pacific Rim à 200 millions de dollars, puis mis en scène un drame gothique sur fond de fantastique avec Crimson Peak, il revient à un projet plus terre-à-terre, une romance façon Belle et la Bête pendant la Guerre Froide. Un conte moderne.
Certains feront immédiatement le lien avec Le Labyrinthe de Pan, qui proposait le même type de contexte, la recherche de liberté dans un monde d'oppression et de haine, mais je pense que les ressemblances s’arrêtent là.
Le film est donc basé sur une romance entre une humaine, Eliza, qui est muette, et une créature inspirée de celle qui faisait chier tout le monde dans le Lac noir il y a 60 ans. Dit comme ça, ça a l'air vachement con, mais je vous promets que dès que les personnages commencent à se rapprocher, on croit vraiment qu'il y a une alchimie entre eux. Étant tous les 2 incapables de parler, leur relation s’établit surtout par les regards, les petits gestes d'affection, et plus le film avance, plus leur lien saute aux yeux du spectateur, jusqu'à cette scène finale qui est...
Tellement
Tellement belle.
Guillermo peut se vanter d'avoir réussi à me faire pleurer devant 2 de ses films : Le Labyrinthe et La Forme de l'Eau.
Connard !
Je t'aime :)
Évidemment, qui dit conte dit métaphores, et comme le film se passe dans les années 50-60, on peut voir la liaison interdite entre Eliza et la Créature comme une métaphore d'une foule de choses : Une relation homosexuelle, ou entre un homme noir et une femme blanche, ou même un rapprochement entre russes et américains dans un contexte de Guerre Froide; le genre de lien que la société de l'époque aurait répudié. On peut ainsi lire le film comme un conte sur un amour interdit, un pamphlet contre la guerre et l'oppression, une fable sur le racisme et l'exclusion ou même sur la place de l'art dans un monde de plus en plus cynique et désabusé. Comme si Del Toro se posait lui-même des questions sur le futur de son cinéma, lui qui aime conter de jolies histoires pleines de poésie et de monstres, comme s'il cherchait à savoir si un conte de fée moderne avait encore sa place dans un milieu artistique de plus en plus tourné vers le second degré, la dérision et le coté "Oh, regardez comme je fais des trucs pas biens !". Lui qui est tellement premier degré, a-t-il encore sa place dans cet univers ? Personnellement, j'aurais tendance à penser que oui, car le second degré ça va bien 5 minutes, mais il faut aussi savoir garder les pieds sur terre pour proposer une bonne histoire (Pas vrai ? Pas vrai, Marvel ?!!!).
L'époque du film est très bien reconstituée, on se sent vraiment immergés dans les années 60, avec ses voitures, ses vieilles télés, et même son racisme ordinaire avec cette scène surréaliste où Richard Jenkins discute avec un vendeur de tartes qui semble au premier abord plutôt sympathique, mais qui devient d'un seul coup froid et distant quand il découvre l'homosexualité de son interlocuteur et interdit l'accès à son échoppe à une femme noire. Très inattendue, mais assez réaliste, comme scène.
J'aime bien cette manière de dépeindre une époque, sans faire 4000 références à la seconde, ça change de Stranger Things qui te chope par le col et te dit "Regarde ! C'est les Années 80 ! T'as vu ? T'AS VU ???!!!"
D'ailleurs, cette politisation du propos de Guillermo touche à peu près tous les personnages du film, que ce soit Zelda, la meilleur amie d'Eliza, qui est noire et soumise à son mari, mais qui trouvera la force de s’émanciper, ou cet artiste raté et homosexuel, incompris de tous, qui trouvera dans la Créature une nouvelle source d'inspiration (Guillermo, c'est toi ?); il y a aussi le docteur Hoffstetler, espion pour le compte de l'URSS, qui préférera sauver la Créature plutôt que de la voir détruite par la bêtise et la peur humaine. Des personnages très attachants, bien écrits, qui tirent tous une leçon de leur épopée avec la Créature.
Mais celui qui fascinera le plus, c'est sans aucun doute le méchant Colonel Richard Strickland, joué par un Micheal Shannon qui visiblement semble aimer se faire détester du public (On se souvient tous de lui en Général Zod dans Man of Steel). Si vous détestiez déjà le démoniaque Capitaine Vidal du Labyrinthe, mes félicitations, vous allez tout autant haïr Strickland ! Les 2 personnages sont un concentré de tout ce qu'il y a de plus pourri au sein de l'âme humaine. Strickland est ainsi un enfoiré brutal, raciste, pervers, à cheval avec le protocole jusqu'à la nausée, obsédé par le contrôle et l'obéissance aveugle à ses directives, et même un brin psychopathe. Il y a d'ailleurs un symbolisme que je trouve assez bien vu avec ce personnage : Dès le début du film, il se fait arracher l'annulaire et l'auriculaire par la Créature, ne lui laissant qu'une main avec majeur et index pour faire un pistolet (si si, mentez pas, on l'a tous fait). Pendant tout le film, il gardera un bandage avec ses deux doigts recousus, même quand il apparaitra évident que ceux-ci pourrissent, comme si malgré les apparences, il cherchait à conserver une identité humaine, une image d'homme droit, vertueux et intègre, puis quand vers la fin, il perd totalement le contrôle de la situation, il pète les plombs, s'arrache ses 2 doigts morts, sa main redevient un pistolet et Strickland révèle ce qu'il est vraiment au fond de lui : Juste un porte-flingue, un Monstre au pistolet qui se cache derrière de belles paroles pour se donner un semblant d'humanité (D'ailleurs, à vérifier, mais il me semble qu'il se sert de sa main mutilée pour tirer au pistolet).
Certains trouveront ça con, ou beaucoup trop évident, mais je trouve l'idée vraiment intelligente.
Et évidemment, je pourrais parler de la symbolique de l'eau, dans le film, qui pourrait signifier tellement de trucs à la fois : L'amour, la liberté, le pouvoir de création de l'artiste,... Une eau qui, au départ, est maintenue enfermée dans des contenants : Verres, bassins, baignoires, etc.. Mais qui petit à petit, s'échappe de ses restrictions et se met à déborder de partout, comme dans cette très jolie scène où Eliza et la Créature s'enferment dans la salle de bain et laissent l'eau couler jusqu'à ce qu'elle remplisse la pièce du sol au plafond. Et à la fin du film, quand l'eau se met carrément à tomber du ciel et recouvre tous les personnages, pour montrer que malgré tous les efforts de l'homme pour retenir le liquide, il ne peut finalement rien contre Mère Nature qui gagnera toujours.
Je pense que c'est là le vrai sens du titre du film : La Forme de l'eau, c'est celle que le spectateur choisira de lui donner, en fonction de son interprétation.
D'ailleurs, autant vous dire que tous les acteurs du films sont excellents pour leurs rôles, ce qui s'explique facilement par le fait que Guillermo a pensé ses personnages du film en fonction des acteurs qui les interprétaient. Ils livrent ainsi tous des performances exemplaires. Mention spéciale à Sally Hawkins, qui ne dit pas un mot de tout le film, mais arrive vraiment à dépeindre ce personnage de femme hésitante, intimidée par ses supérieurs, ayant peu de confiance en elle, qui petit à petit, arrive à s'affirmer pour défendre ce qui lui est cher. Et son partenaire Doug Jones, un habitué des costumes de monstres de Del Toro, arrive à lui donner la réplique même sans réelles expressions faciales, c'est ça la magie du cinéma !
Et la musique envoie du très très lourd. Le thème principal est vraiment un délice pour les oreilles, et cette chanson "You'll Never Know" qui revient plusieurs fois dans le film et qui sonne tellement juste. Et de maniere générale, toutes les musiques sont incroyables.
'Faudrait que je me dégotte le CD de BO, moi.
Bref, Guillermo signe encore une fois une véritable œuvre d'art, un hymne à la création, à la tolérance et à l'amour, qu'il est important de voir pour prouver à toute l'industrie du cinéma que oui, il y a encore un public pour ce genre de films, qu'ils sont nécessaires au média et au grand public.
Donc oui, je recommande chaudement La Forme de l'Eau à tout le monde (enfin presque tout le monde, le film a quelques moments un brin tendancieux à ne pas mettre devant tous les yeux).
Le film divisera, certains ne verront que le verre à moitié vide, d'autre le verront à moitié plein, moi, je dis qu'il faut juste se contenter de boire le contenu.
EDIT : 4 Oscars dont celui du Meilleur réalisateur et Meilleur film !
Youhou ! Enfin, cette cérémonie à la con s'est décidée à reconnaitre officiellement le travail de Guillermo !
Vous croyez que maintenant il va enfin pouvoir faire son adaptation des Montagnes Hallucinées ?