Guillermo del Toro navigue avec aisance dans les eaux connues de la fantasy dont il infuse toutes ses œuvres. La forme de l'eau ne saurait rivaliser avec la finesse d'un Labyrinthe de Pan mais séduit par son infinie tendresse, érigée en rempart contre la sauvagerie. Le monstre n'est pas celui qu'on croit.
Initialement pressenti comme réalisateur sur le remake de la Belle et la Bête, del Toro n'aura pas abandonné ce projet en vain. Il en crée sa propre version, opposant une Baltimore fantasmée et mélancolique face au climat socio-politique d'une Amérique en pleine Guerre Froide. Une voix off annonçant l'histoire tragique d'une "princesse sans voix" (Sally Hawkins) nous plonge dans un étrange conte de fées qui prendra par moment la forme d'un thriller historique. Mais dans cette version moderne de la petite sirène (et d'une multitude d'autres récits), les rôles s'inversent et c'est bien son nouvel ami, une mystérieuse créature amphibie, qui vient s'échouer sur le rivage, prisonnier de la cruauté humaine.
Le regard de la créature (du lagon noir, tout au moins en apparence...) trouve son reflet dans les immenses pupilles de notre Amélie Poulain à la sauce del Toro. Sans jamais s'en cacher, le cinéaste mexicain emprunte à Jeunet un soupçon d'esthétique et une bande originale aux accents parisiens composée par Desplat. Sa générosité ruisselle des sublimes décors composant notamment l'appartement de l'héroïne, merveille architecturale de rétro qui donne envie de se plonger à nouveau dans Les Chaussons Rouges.
Une mention pour Michael Shannon, impeccable alter ego de bestialité et dominance, cristallisant l'esprit de la ségrégation et la haine de la différence qui déchire encore les Etats-Unis en ce début d'années soixante. Son personnage ne fait que mettre en exergue la délicatesse de la relation entre nos deux héros, seule antidote à la violence du monde dans lequel ils évoluent. Leur idylle, bien que sans grande surprise, saura toucher les doux rêveurs en plein cœur... Une petite merveille de plus à l'actif de Guillermo del Toro.