Si la mièvrerie avait une forme, elle serait probablement bien retranscrite par ce film.
Encensé par le public, la critique, les festivals, favori pour les oscars majeurs, The Shape of Water m’intriguait d’autant plus qu’il était réalisé par Guillermo Del Toro. Bien que je ne fus jamais réellement transcendé par ses films (le dernier en date, Crimson Peak, me fit plus rire qu’autre chose), j’aime son style et je m’attendais à un vrai moment de cinéma. Tout partait bien. L’esthétique retro n'est pas forcément très originale mais plaisante. L’entrée des personnages est bien menée (à part peut-être Michael Shannon qui est méchant dès le premier plan), et Sally Hawkins campe son personnage avec brio. Mais ensuite... Quelle déception !
Le film n’est pas mauvais, loin de là. Si on ne l’avait pas vendu comme le film de l’année, je l’aurais pris pour ce qu’il est : une fable tout public qui ne cherche pas à malmener les spectateurs, et surtout qui ne se risque pas à trop les faire réfléchir. Pourquoi pas, mais dans ce cas, comment peut-on trouver autant de qualités à un film si peu original ? J'ai été choqué de constater que le film était à ce point terre-à-terre, sans aucune ambiguïté ni mystère… Le titre laissait pourtant présager quelque chose de beaucoup plus évasif.
À aucun moment on ne peut douter de « l’humanité » de la créature. Bipède, elle se tient debout, elle a les mêmes expressions, les mêmes gestes, les mêmes émotions. Partant, même l’audace de proposer des relations charnelles avec un personnage humain n’en est plus une puisque la « chose » est beaucoup trop proche de nous. Les rares scènes où elle change totalement de comportement pour montrer un côté sauvage (plus proche d’ailleurs du chat d’appartement que de la bête féroce) sont forcées. J’aurais tellement préféré qu'il s'agisse d'une vraie créature, et pas un humain déguisé numériquement. Une scène de sexe entre une femme et un poisson, ça serait peut-être moins vendeur mais tellement plus efficace
L’histoire d’amour entre les deux personnages se met en place en trois regards, simplement en partageant un œuf et en écoutant de la musique. Aucun doute dans l’esprit d’Elisa, qui ne voit jamais la monstruosité, qui n’hésite jamais mais répond à un coup de foudre qui est réciproque. Au lieu d’une histoire qui développe un lien en construction, ce lien se fait avant la première moitié du film, et le reste n’est que remplissage à coup de complots, d’armée, de communistes, de retournements de situation. Et cette fin, mon Dieu…
Comment Strickland peut-il savoir où Elisa habite, aussi précisément ? Il se gare, prend toutes les bonnes portes… Comme par hasard, elle a écrit sur un papier où elle serait, précisément. Il arrive à temps. On nous vend une bad ending alors qu’on sait pertinemment que ça va se retourner en happy ending assez navrant. Ce qui est le cas, forcément.
Les personnages sont tous des caricatures. Le méchant en tête, mais les autres également. Tous les personnages principaux sont des oppressés, rebuts de la société (femmes, muette, noire, un homosexuel et un communiste pour compléter le tableau). Je n’ai rien contre ça, mais ajouté au reste, j’ai vraiment la désagréable impression que ce film a été écrit pour un contexte, et dans le seul but de susciter une adhésion consensuelle en vue de maximiser les entrées et si tout se goupille bien, d’obtenir des prix. Les hommes, eux, sont représentés sous la forme la plus caricaturale possible. Ils sont grossiers, beaufs, ils pissent à côté des chiottes, harcèlent, aiment les grosses voitures, sont racistes, homophobes. Et paradoxalement, à côté des personnages féminins qui s’écartent des stéréotypes, la créature est la quintessence de la représentation iconique masculine. Élancé, grand, musclé, puissant, défenseur de la belle, amant… (water so shape !)
Il reste une direction artistique de qualité mais qui se noie dans un océan de mièvrerie. Le plan le plus intéressant du film (dans la salle de bain remplie d’eau) dure trois secondes, est écourté pour laisser se dérouler un scénario dénué d’intérêt. Si on avait enlevé l’aspect guerre froide, les méchants américains contre les communistes (qui ont l’air méchants aussi, mais c’est moins évident), la course poursuite finale, et qu’on avait gardé le talent de Del Toro pour faire un film sur une histoire d’amour vraiment impossible entre une femme et une créature qui ne fût pas à ce point humanoïde ; alors peut-être aurait-on eu un grand film.