Je suis une fille de 2018, assez commune : j'aime bien la déco, les vêtements rétro, les paillettes, les histoires d'amour et le féminisme.
En voyant La Forme de l'eau, j'ai eu l'impression qu'il avait été écrit pour moi : l'héroïne habite un appartement charmant, son voisin est un peintre décalé, l'ambiance est "vintage", le monstre fait des paillettes, et cette fameuse héroïne - d'histoire d'amour atypique et pourtant vieille comme le monde - n'est pas une nymphette, mais une femme plus toute jeune qui assume son indépendance financière et sexuelle.
Et pourtant ; si j'ai été séduite par le film, par cette réécriture à l'envers de La Petite Sirène, cette version pour adulescents de Ponyo sur la Falaise, ce n'est guère qu'à cause de ça. L'ambiance, les décors, les costumes.
Le reste, eh bien, c'est un peu vide. On sent un potentiel riche, derrière cette approche de l'histoire d'Andersen : la représentation des minorités - gay, personnes de couleurs - la mauvaise compréhension de la religion - le Méchant qui cite la Bible à tout bout de champ -, le féminisme, le handicap, le harcèlement au travail, la définition de ce qu'est l'humanité, mais tout est terriblement bâclé, survolé, aseptisé.
Ce film est un conte ; mais plutôt qu'aller jusqu'au bout de cette logique féerique, et assumer le parti pris, le scénario a voulu se donner de la profondeur. Et non seulement il échoue, mais en plus il se contredit lui-même, un problème récurrent chez les donneurs de leçon
.
Je m'explique : l'argument afin de sauver l'étrange créature - qui n'a pas même droit à un nom, d'ailleurs - est qu'elle est douée d'intelligence et de sentiments. Cela serait donc criminel de la tuer, ou de la laisser mourir. Et le garde, qu'ils tuent pour la faire s'échapper, ce n'était pas son cas ? Et le Méchant, qui meurt à la fin en guise de châtiment, comme dans tous les bons contes, ce n'était pas son cas non plus ?
J'attends avec espoir un film qui saurait allier esthétisme et profondeur : pas un Virgin Suicides, lumineux mais sybillin, pas un Un Long Dimanche de Fiançailles, sépia mais ennuyeux, pas un Au revoir là-haut, pétillant mais incohérent ; peut-être un Amélie Poulain, léger mais poétique, qui sait, comme le fait selon moi l'Art, nous offrir une nouvelle manière de voir le monde ; car si le Poète est voyant, que dire du cinéaste ?