Guillermo del Toro, figure marquante du cinéma fantastique du XXIème siècle. S’étant hissé des petits studios de son Mexique natal jusqu’à Hollywood, il épate les critiques et le public à chaque nouveau projet, nous apprenant que les effets spéciaux live c’est vachement mieux que les VFX, que les monstres c’est cool, et que l’animation n’est pas qu’un simple divertissement pour enfant. C’est un personnage que j’apprécie énormément, aussi bien pour la qualité de ses films que pour sa vision du cinéma. En 2018, il remporte l’Oscar du meilleur film grâce à une bien étrange histoire d’amour, que j’ai eu l’occasion de voir en cinéma plein air, au bord d’une rivière.
La Forme de l’Eau, c’est l’histoire de Elisa, une femme muette vivant dans un petit appartement de Baltimore en 1962, avec son ami et voisin Giles, un dessinateur publicitaire dépressif. Femme de ménage dans un complexe scientifique militaire, une découverte de l’armée change sa routine : une créature humanoïde à l’allure de poisson est amené dans le complexe pour être étudiée. Au fil du temps, l’héroïne et le monstre tissent une amitié avec le langage des signes et de vieux disques de musique dansante.
Comme souvent chez Del Toro, l’histoire est écrite comme un conte, avec des personnages qu’on aime et qu’on déteste, des enjeux simples et humains, et un sens de la fable qui parle à l’enfant en chaque spectateur.
L’Amérique de la Guerre Froide est un cadre parfait pour un amour aussi impossible que surprenant. Un pays en crise qui se farde avec de belles pancartes colorées, des maisons pour familles idéales et des restaurants de tartes. Mais qu’y a-t-il derrière ce déguisement ? Des émeutes, des hypocrites, des parias. C’est une époque dans laquelle il est impossible d’aimer quelqu’un du même sexe, alors imaginez aimer un poisson !
À travers cette histoire aussi belle que tragique, del Toro raconte le trouble d’une époque. L’âge où les gens ne vont plus au cinéma et où la peur obsédante du communisme ronge tout le monde.
Et au milieu de ce monde, une romance où la peau rencontre les écailles. J’ai entendu quelques personnes me dire que le film était absurde à cause de cette amourette de pataugeoire, mais après tout, pourquoi pas ? Certes, on peut trouver ça ridicule quand Elisa raconte à sa copine Zelda comment elle a fait l’amour avec l’homme-poisson, mais cet amour est émotionnel avant tout ! Elisa a trouvé une figure masculine appréciable en cet amant à branchies, car tous les hommes qui l’entoure sont soit des lâches soit d’horribles connards. Tout comme lui, elle a des fentes sur le cou et est incapable de communiquer avec les autres, elle est l’alter ego féminin du poisson sans en avoir l’apparence exacte.
Et c’est pour ça que cette histoire d’amour est si belle, parce que les personnages sont deux parias perdus qui se sont retrouvés sur le même chemin à cause du destin.
Hé, les fans de John Carpenter, bandes de mécanophiles manqués, je vous vois au fond de la pièce !
Ce cher homme-poisson me rappelle deux personnages : la Créature du Lac Noir, du film éponyme et aussi Abe Sapien, humanoïde croisé poisson et collègue d’Hellboy (personnage qui a pris vie dans deux films de del Toro !). Si il en a un peu les traits, il ne partage pas grand-chose avec les deux personnages, sauf peut-être le goût qu’il a pour les femmes, que semble aussi avoir la créature dans le film de Jack Arnold. Belle prestation de la part de Doug Jones, porter un tel costume ne doit pas être facile, mais aussi bravo à Legacy Effects, pour avoir créer une créature plus vraie que nature !
Outre le thème principal de l’amour impossible, plein de sujets sont traités de manière plus ou moins explicites, comme souvent chez le réalisateur. Bien sûr, il y a une critique de la recherche militaire, qui préfère détruire plutôt que d’apprendre, et un «female gaze» très fort, avec des héroïnes prises en étau entre leur travail laborieux et des hommes qui ne les respecte pas (Michael Shannon incarne probablement l’une des plus grosses ordures du cinéma !). Il y a aussi la croyance et l’espoir, le besoin de croire en quelque chose et de ne pas se fier à un destin qui semble tout tracé. Le passage du temps, la routine mais aussi la vieillesse, la solitude vécue par le vieux Giles mais aussi par Elisa. Et mon sujet préféré : l’évasion !
Que ce soit devant la télé, au cinéma ou en écoutant des disques, les personnages trouvent un refuge dans l’art, avec les claquettes, les comédies musicales et les beaux costumes. Même l’homme-poisson, perdu dans cette civilisation qui n’a que haine pour lui semble apprécier les images en mouvements et quelques pas de danse.
La Forme de l’Eau : une belle histoire à la fois irréel et très humaine, avec une esthétique baroque et vintage à souhait, entre les labos secrets et les appartements inondés. Comment conclure ? Je vais juste dire qu’ils se marièrent et eurent plein de petits têtards !