Potentiellement un véritable chef d'œuvre, sabordé hélas par un dénouement en queue de poisson!
J'ai bien conscience que Kechiche a voulu proposer une fin ouverte, qui laisse libre cours à l'interprétation de chacun ; et je n'ai rien contre ce procédé, qui se justifie pleinement dans certains films (de tête, je citerais "Paris" de Klapisch, dont l'issue n'est pas tranchée et c'est très bien comme ça). Sauf que dans "La graine et le mulet", cette conclusion outrageusement abrupte s'apparente moins à un choix de mise en scène qu'à une solution de facilité.
La plupart des questions développées pendant deux heures et demie restent donc sans réponse : c'est hyper frustrant! Quid du vieux père de famille au final, simple malaise ou décès? Donc quid du restaurant, et du sort de toute la famille? Quid de son connard de fils - aussi lâche pour le coup que le procédé choisi par Kechiche - que j'aurais aimé voir assumer les conséquences de sa bêtise? On ne saura jamais, et visiblement ça ne dérange pas grand monde...
Je suis énervé car avant cela le film est un vrai bonheur, un petit bijou de tendresse et d'optimisme sur des thématiques telles que l'intégration, la crise économique, la famille recomposée, le mélange des communautés... Un regard bienveillant mais acéré, sans mièvrerie ni angélisme, qui sait pointer avec acuité les faiblesses, mesquineries et contradictions de ce petit monde sympathique et bigarré.
Kechiche est à mes yeux un grand cinéaste, un des meilleurs réalisateurs français contemporains, avec son style naturaliste et sa patte formelle si reconnaissable, usant et abusant des gros plans, étirant ses scènes jusqu'à saturation, dirigeant ses acteurs (non-professionnels pour la plupart) comme personne, et parvenant ainsi à faire ressortir une réalité palpable, une vérité criante sur l'âme humaine.
Un dernier mot sur LA révélation du film, même si tous les comédiens sont formidables : la divine Hafsia Herzi, avec sa bouille et ses rondeurs adolescentes, sorte d'Adèle du sud, qui crève l'écran dans "La graine et le mulet".
Edit : Avec le recul, je reconnaît que cette critique rédigée à chaud manque de hauteur, et j'admets bien volontiers le parti-pris final de Kechiche, certes très frustrant pour le spectateur, mais dans l'esprit du cinéaste franco-tunisien, ce dénouement cristallise sans doute l'échec de l'intégration à la française, puisque ce sont symboliquement des jeunes de cités qui causent la perte du patriarche maghrébin.