Je ne connais pas Rome qui reste pour moi LA ville mythique, chargée d'histoire, dégoulinante de beauté, celle qui vous happe au détour des films qui l'ont célébrée, de Vacances romaines à Journal intime en passant par l'inoubliable Dolce Vita d'un maître nommé Fellini.
Sorrentino cette fois, nous offre la vision magique et désenchantée d'une capitale à l'agonie, belle de son passé, riche de sa mémoire, une grande balade existentielle où l'amour, le sexe, l'art, les souvenirs et les racines se conjuguent pour donner cette Grande Belleza, satire de la société- spectacle trouée de visions esthétiques et baroques où seule la beauté subsiste.
Tout ce qui m'entoure ne cesse de mourir "
se désole Jep en contemplant de son toit-terrasse la munificence nocturne du Colisée illuminé tandis que résonnent à nos oreilles les chants liturgiques dans toute leur beauté émotive et sensuelle.
Je ne voulais pas seulement être le roi des soirées, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher"
déclare-t-il, lui, Jep Gambardella, dandy sexagénaire à l'oeil moqueur, auteur brillant d'un unique chef-d'oeuvre, reconverti en journaliste mondain, figure incontournable de la Jet Set mais personnage déchiré dont l'aisance nourrit un cynisme dérangeant: Toni Servillo tour à tour émouvant, agaçant ou pétillant, troublé ou déprimé, bref terriblement humain, un homme qui se retourne sur sa vie, se contemplant au travers des autres, tendre, ironique et lucide mais jamais désabusé.
Dans ces fêtes décadentes de Rome qu'il honore de sa présence, il n'est pas rare de croiser nombre de figures que n'aurait pas reniées l'auteur de Roma : naine aux cheveux bleus directrice d'un journal à scandales, artiste performeuse qui fonce tête la première dans un mur, enfant-star qui exhale sa rage à grands coups de pots de peinture qu'elle étale, Mère Teresa centenaire et édentée, effeuilleuse malade du temps qui passe, ou cardinal mondain plus passionné de nourritures terrestres que spirituelles, toute la faune de la haute société romaine, incarnation vivante d'une Italie malade qui mêle à sa beauté la vulgarité d'un monde laid, fourbe et insidieux.
Un cinéma extravagant, original, exubérant, décousu parfois, oscillant entre modernité et classicisme, un spectacle d'une beauté visuelle époustouflante où se côtoient girafe et flamands roses en migration sur fond de musique d'opéra et de soleil couchant, mais surtout une déclaration d'amour à la vraie Rome et non à ce monde actuel et hypocrite peuplé de visages ridés et pathétiques exprimant si bien la vacuité d'une vie qui court après son passé.
Après tout la vie n'est qu'un truc"
dit Sorrentino par la voix de son héros et de son double et la férocité du propos le dispute à une immense tendresse, quand Jep avec un délicieux sourire en coin s'exclame:
ces hommes et ces femmes-là ne sont ni pires, ni meilleurs que nous.
Alors pourquoi les regarderait-on avec mépris ? "
Et c'est cette tendresse non dénuée d'humour, nimbée d'un subtil parfum de mélancolie au goût de nostalgie, qui rend le film si attachant malgré ses outrances et son grotesque assumés : formidable comédie de la vie de toute éternité.