Pourquoi Jep (Toni Servillo) n'est-il pas devenu écrivain? Pourquoi a-t-il préféré être le roi prodigue de fêtes exaltant sa puissance autant que sa vanité? Cette question se pose autant au personnage qu'au cinéaste qui le regarde: on a pu reprocher à Sorrentino de se repaître de l'esthétique de ces fêtes-spectacles, tout en lui opposant une hypothétique "vraie beauté" qui traverse le film par flashes-back et s'incarne en une femme, un amour de jeunesse, dont Jep apprend la mort et qui resurgit de manière très forte à la fin. Lecture pauvre: il n'y a pas d'un côté la vanité des fêtes et de l'autre la "grande beauté", forcément perdue. Le film dit plutôt que celle-ci est perdue depuis toujours, qu'elle ne prend forme que dans le souvenir de Jep, comme une autre possibilité existentielle: Jep aurait pu être écrivain au lieu d'être chroniqueur mondain, il aurait pu, comme Flaubert, écrire un livre sur rien s'il n'avait pas tant profité des plaisirs offerts par ses propres fêtes. Mais Jep a préféré régner sur la fête romaine pendant quarante ans...
Contrairement à Marcello dans La Dolce vita, Jep n'est pas un personnage romantique: il n'a pas à choisir entre la pureté et la décadence, son choix est fait, il se résume à travers une phrase de son unique roman, citée par une de ses conquêtes d'un soir: "A la lumière intermittente, l'amour s'est assis dans un coin, effacé, distrait." C'est ce coin où Jep a mis l'amour que le film éclaire dans son finale, sans pour autant donner l'image d'une vie ratée, Jep annonce même qu'il a trouvé un "truc", que son nouveau roman peut enfin commencer. Cette façon de retenir le crépuscule, de tuer la mélancolie dans l'oeuf rend le film magnifique, parce que c'est le sourire de Jep qui l'emporte. C'est sur ce visage souriant dans l'ombre qui le gagne que s'achève La Grande Bellezza. Jep prononce alors ces phrases très simples, évidentes : "ça finit toujours comme ça. Par la mort. Mais avant il y a eu la vie."