Parfois, se remettre les trois bouses récentes en mémoire avant de s’offrir pour une énième fois le plaisir de revoir la vraie trilogie permet de confirmer s’il en était besoin quel gouffre il y aura toujours entre un vrai film de cinéma et des navets intersidéraux…
1977, George Lucas n’est pas le perdreau de l’année, huit ans auparavant, après un stage gagné sur un tournage de Coppola, il se prend d’amitié avec le gros barbu et fonde avec lui les studios Zoetrope qui produiront pour la Warner son premier film, THX 1138. Suite à l’échec commercial du film et une indépendance plus qu’éphémère sans le final-cut, Lucas lancera Lucasfilm histoire de se sentir un peu plus à l’aise… En 1973 il connaît un immense succès avec American Graffiti et peut enfin s’offrir le contrôle qu’il espère pour ses œuvres futures, surtout que la création de ILM deux ans plus tard va lui donner les moyens technologiques qui lui manquaient pour lancer un projet particulièrement ambitieux, un space opéra dans un univers gigantesque étonnement cohérent qui aura la postérité que vous savez…
Sans être un petit budget, La guerre des étoiles est un projet assez gigantesque pour ses dix millions de budget, et c’est peu dire que la Fox se méfie devant un film pour gosses à une époque où seuls les adultes sont garants du succès commercial d’un film. Alors, et c’est ça qui est assez formidable, on bidouille, on se débrouille, on trifouille ses méninges pour avoir une idée à la seconde qui permette non seulement de concevoir des plans jamais vus auparavant, mais aussi de rendre crédible tous les détails foisonnants de l’histoire… C’est fou comme ça a du charme une vieille décharge transformée en cheptel de droïds, en plus on peut réutiliser les restes dans le broyeur situé sous les cellules de l’Etoile noire, il n’y a pas de petits profits…
Toute la partie technologique, absolument révolutionnaire fonctionne encore merveilleusement, on a encore rien trouvé de plus admirables que de bonnes vieilles maquettes pour faire croire à l’impossible et si elles sont filmées avec une précision électronique créée pour l’occasion difficile de faire mieux dans le genre…
Faut dire que les designers s’en sont donné à cœur joie, pas un vaisseau qui ne soit parfait, qui ne possède sa propre personnalité, dont on ne devine le fonctionnement, auquel, surtout, on ne puisse croire. Avec ça, des décors intérieurs fabuleux, des costumes le plus souvent réussis et un incroyable fatras d’E.T. et de robots en tous genres pour varier les plaisirs. Attention, la variété n’est pas là pour s’exhiber sans raison mais pour donner une ambiance incomparable, comme dans la scène du bar par exemple, et jamais aux dépends du récit.
Parce qu’en vrai, c’est quand même l’histoire de deux boîtes de conserves qui se baladent dans le désert en débitant des fadaises et c’est pour ça qu’on les aime.
Reprenant sans vergogne le schéma de la Forteresse Caché, modèle merveilleux s’il en est, Lucas jongle habilement avec toutes les références possibles, toutes les légendes les plus connues afin d’en tirer miraculeusement quelque chose de vraiment personnel, une sorte de tragédie un peu pop dans l’espace, avec des macarons dans les cheveux des princesses…
Il faut tout de suite prévenir les malheureux élevés dans l’ignorance qui n’ont jamais vu un film plus vieux que ce millénaire, à cette époque, on faisait encore du cinéma, on travaillait ses plans, on prenait son temps pour raconter une histoire, on donnait de l’épaisseur aux personnages même dans un film de S-F pour les gamins et on n’essayait pas de nous prendre pour de parfaits demeurés mentaux sous prétexte de nous distraire.
Comme dans toute BD qui se respecte, le héros sans peur et sans reproche est forcément un peu lisse, mais ce n’est pas très grave, il est là pour ça et le reste permet de compenser largement… Le héros, donc, joué par Mark Hamill, c’est Luke Skywalker, blondinet fadasse qui sent bon la meule de foin et est toujours prêt à sortir avec son accent en pur pécore les meilleures anecdotes sur la moisson ou les semailles, voire se ramener à la cérémonie de remise des prix avec une affreuse veste jaune… Avec ça, gentil comme tout, mais pas particulièrement brillant, pas vraiment le genre de type qui va faire se retourner les donzelles sur son passage…
Non, pour ça, il y a Han Solo, grand beau gosse hâbleur à la dégaine nonchalante, le futal de la guerre de sécession sous le holster de cow-boy, bourru comme seuls les braves garçons savent l’être, séduisant comme un voyou et absolument obnubilé par sa chère petite personne, son copilote à poils et son Millenium Falcon de rêve… Pour l’occasion, Lucas retrouve son charpentier préféré, le bad guy de son film précédent, le type sans qui ses films ne seraient jamais vraiment ce qu’ils sont, Harrison Ford. A 35 ans, bel âge s’il en est, Harrison déborde déjà de charisme par tous les trous de son gilet, il n’est encore qu’un rôle secondaire, mais ce contrebandier à la langue bien pendue est la caution nécessaire pour extirper le film d’un trop plein de premier degré manichéen, le genre de type à tirer le premier si on l’emmerde, si vous voyez ce que je veux dire.... Enfin, ici, un vrai personnage, quelque chose qui peut remuer le gamin devant son écran autrement que parce qu’il est né avec des super pouvoirs bizarres d’une secte plus ou moins douteuse… Avec ça, il est accompagné d’une adorable boule de poils acariâtre et se balade dans l’univers aux commandes du plus chouette vaisseau spatial de l’histoire, manquerait plus qu’il soit absolument dénué de principes pour que je tombe sous le charme, moi… En plus, là où c’est jouissif, c’est qu’alors un voyage, même en hyperespace, ça demande un minimum de temps, on peut alors se poser, s’entraîner, jouer à des jeux de société, converser, tout ce que les films d’aujourd’hui oublient de faire… Ici, ils prennent même le petit déjeuner, chez les bouseux, la temporalité est prise avec logique, pas la peine de faire un faux décompte en urgence avant l’attaque finale, on profite sans remords de tous les petits détails qui abondent…
Pour les deux mâles, il fallait bien une donzelle, la princesse, donc, on a bizarrement choisi une minuscule brunette qui ne paie pas de mine mais qui, au moins, a de la personnalité à revendre, il faut bien ça face au gentil voyou cité plus haut et déjà, pour ma plus grande délectation, commence une relation sur la défensive qui rappelle les meilleurs moments des comédies américaines des années trente, comme quoi, ce n’est jamais répréhensible de piller si c’est avec goût.
Comme duo comique, nous avons le petit gros et le grand maigre, le bavard au balai dans l’écrou et le laconique intrépide le tout à dix dollars le kilogramme de ferronnerie, que du bonheur, je ne m’en lasse jamais. Grâce à Kenny Baker et Anthony Daniels, ces zigotos respirent le tangible, la réalité plus vraie que nature, l’humanité faite métal et clignotants.
Pour le reste, des figures patriarcales de choc, le délicieux Alec Guinness, dont chaque demi-sourire est un petit bout de paradis et le toujours parfait Peter Cushing dont chaque frémissement de sourcil force le respect.
Faut-il vraiment préciser aussi combien James Earl Jones joue merveilleusement de sa voix caverneuse pour donner de l’épaisseur à un des plus formidables méchants de l’histoire du cinéma ?
Des acteurs, c’est fou comme ça change les choses en fait, ils devraient y penser plus souvent…
Pour couronner le tout, John Williams nous propose, en mode Pierre et le loup, une des meilleurs bande originale du cinéma, condition indispensable pour permettre à la Guerre des étoiles de s’imposer comme un des monuments incontournables de la Science-Fiction, place qu’il n’a toujours pas perdu depuis…
Il faut dire aussi que le film est une succession de moments d’anthologie, depuis ce premier plan interminable sur le croiseur interstellaire jusqu’à l’entrée de l’Etoile noire dans son orbite d’amarrage et le final époustouflant.
Je ne vais pas non plus vous raconter le film, vous l’avez probablement tous vu et puis, dans le cas contraire, ce serait dommage, je ne vais pas non plus vous expliquer longuement pourquoi ce film, en prouvant qu’un public enfantin pouvait parfois être bien plus rentable que les adultes et que les produits dérivés n’étaient pas forcément un pourboire sans intérêt a véritablement changé le visage de la production cinématographique et probablement pour le pire, non, je n’ai plus le temps et puis, ça ne sert plus à rien de faire des critiques depuis aujourd'hui, vu qu’il faut attendre le bon vouloir de Mr Feedback pour savoir si elles seront visibles alors, ça décourage, je me lasse, mais je voulais juste vous dire en passant : des films qui, à la vingtième ou la trentième vision, continuent à faire vibrer en moi toutes les cordes du gamin émerveillé il n’y en a pas des centaines et je savoure chaque seconde comme si je la découvrais pour la première fois.