"La Gueule de l'emploi" commencent simplement : dix personnes de tous horizons sont contactés par une entreprise (GAN) pour passer un entretien d'embauche, sur une durée de deux jours. Ils ne connaissent pas la nature du poste convoité, ni même le salaire proposé. Le réalisateur pose donc sa caméra et filme le recrutement, l'entrecoupant d'entretiens réalisés avec les différents candidats. C'était casse-gueule, et regarder des gens essayer de se faire embaucher n'a au final rien de passionnant.
Là où le documentaire trouve son intérêt c'est qu'il ne s'intéresse pas à la façon dont les candidats essaient de se faire embaucher, mais à la façon dont les recruteurs tentent de motiver les dits-candidats à vouloir à tout prix ce poste, en forçant la docilité, la soumission, en les cassant, les détruisant moralement, en leur faisant passer nombre d'épreuves toujours plus déstabilisantes, voir destructrice.
Le documentaire a déclenché de nombreuses polémiques, où les différents recruteurs et l'entreprise dont ils font partie se sont fait lynché, leurs noms et adresses ayant été révélés sur Internet. Ce que les gens qui critiquent cet aspect et l'abjection qu'inspirent les intervenants, c'est que "La Gueule d'emploi" ne se content pas de dire "Le recrutement chez GAN c'est un vrai parcours du combattant, des vrais monstres", non. "La Gueule de l'emploi" parle du système. Ces recruteurs n'agissent pas de leur plein gré, mais sous la tutelle de ce système gigantesque qui a créé notre société actuelle : le monde sanglant de l'entreprise, la compétition, la concurrence au détriment de l'autre, quitte à le détruire moralement, l'absurdité de tous ces aspects qui, si ils sont dans ce recrutement spécifique très soulignés, sont inhérents à notre façon de marcher, d'évoluer, quelle que soit l'entreprise concernée.
C'est là que "La Gueule de l'emploi" est superbe : non content de nous faire vivre une expérience oppressante et donner des personnages fascinants (j'ai rarement éprouvé autant d'empathie dans un documentaire, même pour les candidats les plus détestables), il livre un portrait terrifiant de l'entièreté du monde de l'entreprise. C'est intelligent, glaçant, mais pourtant indispensable.