Est-ce toi, Souvenir, errant sur le rivage ?
Laisse-moi t’approcher, écouter tes murmures...
De ton épais brouillard tu nacres son visage
Irrité par le vent, le temps et ses brûlures –
Dont mon cœur souffre encor de l’amère douleur.
Non ! Ne me trahis pas, Mémoire sans chaleur !
Dans ce monde déchu, sombre, fou, amnésique,
Elle est l’ultime porte. Elle est notre relique.
Paris mort. Monde en ruines. Air putride. Ciel gris.
Sous terre encor survit le vestige pourri
D’une humanité perdue, errant dans le noir.
Seuls, ils suffoquent – les aliénés du désespoir.
Et la voix de velours des chercheurs nous chuchote :
« Abandonnez-vous à vos plus vieux souvenirs !
Au passé se conjugue à présent l’avenir. »
Bercé, je plonge en moi : comme en rêves, je flotte !
Il faisait beau, ce jour là, au bout de la jetée.
Dans le musée de ma Mémoire, les souvenirs
Sont aveux. Ils dansent. Immobiles. De vide ornés.
Je l’aperçois enfin, habillée de sourires.
Jardins, enfants, chemins : tout repère se confond ;
Balade rime alors avec déréliction.
Je suis son Spectre errant là où sa peau me mène
Sans projet ni passé fascination vaine.
Le printemps scande ses poèmes. Un battement
De cils. Allongée là, sur un lit – elle m’attend ?
Le temps s’enroule et boucle – ainsi font ses cheveux.
Comme l’oiseau qui, libre, s’envole vers sa cage,
Attiré par l’embrun voluptueux d’un mirage,
Fauché en pleine course, je meurs – silencieux.
Était-ce toi, Ombre passée, sur ce rivage ?
Pourquoi m’avoir laissé boire dans ton calice ?
À vouloir trop l’aimer, ivre de son visage,
Elle m’a crucifié. Son nom est : « Cicatrice ».