Aussi aberrant soit-il pour certains, oui il existe des remakes de films français et souvent ils sont américains. Ainsi, une bonne partie de la filmographie de Francis Veber y a eu droit (y compris par lui-même), mais également Intouchables (The upside avec Bryan Cranston et Kevin Hart), A bout de souffle, Un éléphant ça trompe énormément (La fille en rouge de et avec Gene Wilder), Un indien dans la ville (à New York avec Tim Allen), Nuit blanche, Le Père Noël est une ordure (Mixed nuts), Les diaboliques (avec Sharon Stone et Isabelle Adjani), A bout portant, Anthony Zimmer (The Tourist), Taxi, Mon père ce héros, LOL, La totale (True Lies), Nikita, Pour elle (Les trois prochains jours), Trois hommes et un couffin, Les choses de la vie (Intersection) etc. Et si l'un des meilleurs films américains des 90's était le remake d'un film français ? Voire mieux, un classique dont le remake se révèle aussi bon en reprenant la plupart des éléments de son scénario, tout en les étoffant à sa manière ? C'est le cas de L'armée des douze singes (Terry Gilliam, 1996) avec La Jetée.
D'un point de vue technique, les deux films n'ont pas grand rapport. Terry Gilliam a signé un long-métrage dit "classique", là où Chris Marker, esthète s'il en était, a opté pour un court-métrage sous forme de "photo-roman". On voit un défilement de photos (ou de plans) parfois simple, mais pas que. Ainsi, le réalisateur opte aussi pour un lot de fondus enchaînés, permettant ainsi un vrai sens du mouvement et de ne pas taxer le film de simple diaporama. D'autant que Marker réserve aussi une belle surprise au spectateur qui s'est habitué depuis quelques minutes à la manière de faire avec ce plan filmée de quelques secondes, moment de temps suspendu où un homme contemple la femme qu'il aime se réveiller après une succession de fondus enchaînés la montrant dormir.
Car La Jetée est une œuvre coupée en deux comme le sera son remake. Il y a d'un côté un pur film post-apocalyptique avec des gens essayant de se sauver en voyageant dans le temps ; et de l'autre, une romance où le voyageur tombe amoureux d'une femme à l'époque où il n'était qu'un enfant. Les deux s'entrechoquent parfaitement, car le héros est confronté à la dure réalité : il ne veut pas rester dans un monde froid, sans réel avenir et où il n'est qu'un cobaye parmi tant d'autres servant des gens avec des desseins en tête. En allant dans le passé, il découvre un monde ouvert, où l'Homme est encore dehors et non cloîtré dans des souterrains, où l'air est encore pire et où il y a encore une chance de vivre. L'avenir ne lui réserve rien et la fin ne fera que confirmer cela, car l'image qui l'a aidé à devenir un voyageur temporel l'amène à sa perte.
Gilliam et les scénaristes Janet et David Webb Peoples (l'homme derrière Blade Runner et Impitoyable) le comprendront parfaitement en reprenant les éléments phares de La Jetée, tout en donnant leur vision des choses. Il y a toujours cette femme, ce drame qui sert de souvenir, le voyage en plusieurs temps, le régime futuriste avec les scientifiques et leurs prisonniers cobayes, l'appartenance du héros à un futur qu'il veut fuir, cette course contre la montre qui ne mène finalement à rien ; mais aussi des rajouts bénéfiques qui complètent le grand film de Marker.
La Jetée est une romance superbe avec finalement très peu d'éléments (difficile de ne pas tomber amoureux d'Hélène Châtelain tant elle est magnifiée par Chris Marker). Un incroyable film de science-fiction avec un contexte et un concept bien décrits par la voix-off, quand ce n'est pas par des images fortes comme ces villes ravagées par la Troisième Guerre Mondiale. Mais aussi un film fascinant sur la place de l'Homme dans le temps, amenant à une réflexion sur le souvenir et les images que l'on garde en mémoire. Au final, rien de mieux que des photos pour nous rappeler les étapes de notre existence.