Sorti en 1962 et réalisé par Chris Marker (un pseudonyme), La Jetée est un court métrage de 28 minutes qui a révolutionné le cinéma français et même international. C'est un film de science-fiction qui prend la forme d'un roman photo commenté par une voix off. La Jetée est célèbre pour avoir inspiré L'Armée des Douze Singes et on peut dire également, sans trop se risquer, qu'il a été fortement inspiré par Vertigo. Et comme quoi, en France faire de la science-fiction, en 1962 c'était pas si compliqué. Qui plus est, c'est un film avant-gardiste qui s'inscrit dans la réalité, de la peur de la guerre froide et d'une troisième guerre mondiale. Et le choix du photo roman avec des images figée, témoigne d'une volonté de s'inscrire dans une réflexion sur le temps et la mémoire.
Le film débute par une séquence où on voit un jeune garçon qui assiste à la mort d'un homme sur la jetée de l'aéroport d'Orly (d'où le titre du film La Jetée). La mort de cet homme est observé par une femme et c'est une image qui va marquer à vie le jeune garçon. Des années après, on retrouve le jeune garçon devenu un homme. Une apocalypse est passée par là, Paris a été rasé de la carte et les gens vivent désormais dans des souterrains. L'homme en question est alors recruté de force pour une expérimentation sur le voyage dans le temps. Et s'il est choisi, c'est parce que contrairement à d'autres cobayes qui sont devenus fou, lui il peut subir ce saut dans le temps grâce à cette image sur la jetée cristallisée dans son esprit. Pourquoi l'envoyer dans le passé ? On ne sait pas trop, peut-être pour récupérer des vivres ou pour empêcher l'apocalypse ? Toujours est-il que pendant ces voyages dans le temps, il va rencontrer une femme ...
Cette femme nous rappelle furieusement Kim Novak dans Vertigo. Tout comme James Stewart, notre homme est obsédé par cette femme et on a cette idée du personnage enfermé dans une boucle temporelle. Et bien sûr, Terry Gilliam arrive trente ans après et en fait un remake avec L'Armée des Douze Singes. C'est d'ailleurs ce film, vu en salle en 1995, qui m'avait donné envie de voir La Jetée. Et si vous avez déjà vu L'Armée des Douze Singes, vous vous apercevrez très vite que tout était déjà là dans La Jetée, condensé en 28 minutes. C'est l'un des rares film fiction de Chris Marker, si ce n'est le seul de toute la carrière du cinéaste, plus habitué au film documentaire classé essai cinématographique et à la photographie.
Bref, La jetée est un court-métrage remarquablement immersif, sombre, désespéré et onirique. Je comprends ce qui a pu séduire Terry Gilliam pour faire son film. Et même si personnellement je préfère L'Armée des Douze Singes, parce que plus élaboré, plus fou et plus "montypythonesque", je dois avouer que j'ai pris une petite claque à la découverte de ce court-métrage. C'est une œuvre singulière et culte, filmée avec peu de moyens, mais avec des cadres très travaillés. Les images figées imprègnent irrémédiablement votre rétine. C'est une œuvre intelligente et d'une grande poésie, doté d'un certain degré de pessimisme, notamment pour cette séquence finale poignante et magnifique, qui donne tout son sens à l'histoire imaginée par Chris Marker.