J’ai fait une belle acquisition aujourd’hui. J’ai acheté un compteur qui mesure le charisme. Pour qu’il réagisse, il suffit de prononcer le nom de la personne concernée. Alors, “Ethel Merman !”... pourquoi ça ne marche pas cette merde ? “Dan Dailey !”... oh oh, tu fonctionnes ? “Johnnie Ray”... pourtant, j’ai bien branché le machin, non ? “Mitzi Gaynor !” (heureusement que Billy Wilder ne l’avait pas engagée, comme il le voulait à l’origine, pour le rôle principal féminin de Certains l’aiment chaud !)... bon… je vais appeler le SAV si ça continue… “Donald O’Connor !”, ah, enfin… l’aiguille s’est levée d’un coup jusqu’à la catégorie “bonne dose de charisme” (C’est sûr que ce n’est pas étonnant venant d’un type qui n’est pas loin de voler la vedette à Gene Kelly dans le génial Chantons sous la pluie. Et il est hallucinant lors du numéro Make ‘Em Laugh… je kiffe à mort ce numéro !)… “Marilyn Monroe !”... merde, l’aiguille devient folle… oh zut, le machin a explosé…
Blagues à part, la présence de Marilyn Monroe dans ce film est une aberration. Attention, ce n’est pas elle qui est en trop ici. Au contraire, c’est cette comédie musicale qui l’est dans sa filmographie. Marilyn est parfaite, elle est rayonnante, elle assure à mort lors de chacune de ses apparitions. Sa présence ne fait que mettre encore plus en relief combien le reste de la distribution (O’Connor à part !) est transparent, mais à un point que cela en est réellement embarrassant. On n’est même plus dans le comparable. Marilyn Monroe est à dix mille stratosphères au-dessus de ses partenaires (O’Connor à part !). Les Merman, les je-ne-sais-quoi ne font que remplir l’espace important laissé par les cadrages en CinemaScope sans vraiment attirer un seul instant l’attention sur eux.
Autrement, ce n’est qu’une quasi-accumulation de numéros musicaux (je vais revenir sur ceux-ci plus loin !), entrecoupés de temps en temps de séquences familiales, professionnelles ou sentimentales ultra-téléphonées, nullement approfondies, dans lesquelles le plus petit problème se résout grâce à la magie de la paresse scénaristique. Oui, c’est juste là pour meubler. Ce ne sont pas les numéros musicaux qui servent l’histoire, mais l’inverse (bref, le contraire de ce qu’il faut faire pour réussir une comédie musicale !). En outre, les personnages sont lisses (sauf Marilyn qui parvient à donner un peu de piquant et de la force de caractère au sien !), à faire passer La Petite Maison dans la prairie pour South Park en comparaison. Là, vous allez certainement m’interrompre pour me signaler que c’est peut-être la fadeur des personnages qui rend les interprètes fades. Ce à quoi je réponds que Donald O’Connor incarne lui aussi un personnage fade, mais que ça n’empêche pas son charisme naturel d’être présent.
La réalisation ne relève pas du tout le niveau. Je n’avais croisé jusqu’ici qu’une seule fois dans ma longue vie de cinéphile le nom de Walter Lang, avec Le Roi et moi. Malgré Yul Brynner, malgré Deborah Kerr, malgré des chansons de qualité, qu’est-ce que je m’étais fait chier devant ce film. Il n’y a pas la moindre maîtrise du rythme, pas la plus petite idée de mise en scène pour dynamiser ou rendre le tout un peu plus attrayant. Là, c’est pareil. Le tâcheron absolu qu’était Walter Lang avait dû recevoir l’ordre de la part de Zanuck (le grand ponte de la Fox qui avait produit ce film !) de mettre en valeur au maximum le CinemaScope.
Cela se traduit par des plans larges, d’ensemble ou américains (ben ouais, pourquoi s’emmerder avec des plans rapprochés, des plans poitrine, des gros plans ?) et un montage qui a décidé de faire le minimum syndical. Oh mon Dieu, miracle, quelquefois, il y a un timide travelling de quelques centimètres en avant ou en arrière… oh, là, là, j’espère que Walter Lang n’avait pas fait un burn-out en veillant à l’exécution de ces mouvements de caméra spectaculaires et virtuoses. Bref, c’est plat, c’est mou, c’est terne, c’est insipide. Certes, Marilyn, par ses apparitions, par sa délicieuse voix suave, insuffle du charme (qu’est-ce que Mitzi Gaynor et même, pour le coup, Donald O’Connor ont l’air empoté, comme des papillons de nuit bloqués dans une lampe allumée, lors du numéro Lazy, tellement cela coulait de source que Marilyn aurait pu très largement l’assurer toute seule !). Là, l'œil amorphe du spectateur sort d’un coup de sa torpeur et brille. Mais ce n’était pas à elle de faire tout le boulot. Sans la star, ce navet serait tombé dans les limbes mérités de l’oubli le plus total.