Ce truculent film de Claude Autant-Lara (1959) reste fidèle en de nombreux points au roman de Marcel Aymé (1933). Il se déroule dans un monde paysan au moment de la guerre de 1870, un peu en vase clos, où les rancunes entre familles sont tenaces et passent de génération en génération. La verdeur des personnages n'a d'égal que la verdeur du langage. Et surtout les deux ont fait scandale à leur sortie auprès des "bonnes gens" et "des cathos bon teint" mais ont été tous deux été des succès populaires.
Je crois que le film a même été interdit aux mineurs notamment à cause de la saillie de la vache par le taureau bien que la scène soit très édulcorée. D'ailleurs on peut dire que le film (comme d'ailleurs le roman) est grivois, rabelaisien si on veut, mais certainement pas indécent. Le style est plutôt d'en dire et d'en montrer peu pour en exprimer beaucoup. Tout est dans la mise en scène, le jeu et les mimiques des acteurs dont Autant-Lara sait tirer profit.
Une pléiade de grands acteurs jouent d'ailleurs dans ce film :
Les deux chefs de famille rivaux et jaloux Haudouin et Martoret, surtout depuis que la fameuse jument verte a enrichi le premier, sont joués par Georges Wilson et Yves Robert.
Les deux fils Haudouin sont joués par Bourvil et Francis Blanche.
Francis Blanche est le vétérinaire "même pas foutu de soigner la jument verte" qui mourra au bout de dix ans. Par contre, ayant grimpé dans la coterie locale, il sait intriguer auprès du député et du maire et joue un personnage qui se veut moral et bien-pensant (en façade, bien sûr)
Bourvil joue le rôle du paysan, un peu benêt sur les bords mais qui sait se montrer matois quand il faut et en plus séducteur. C'est le personnage dont le fond reste bon malgré ses apparentes turpitudes. Quand il engueule son frère, le vétérinaire, il est capable de sortir des chapelets de jurons tous plus imagés les uns que les autres.
C'est au moins la troisième fois que Bourvil joue pour Autant-Lara sur des personnages de Marcel Aymé après le "passe-muraille" et surtout "la traversée de Paris". Toujours excellent.
Du côté des personnages féminins, une excellente Sandra Milo dans le rôle d'une fille Martoret qui a réussi en ville grâce à ses aptitudes de "séductrice" face à la fille Haudouin jouée par une toute jeune Valérie Lagrange, honnête fille mais qui sait bien manipuler son monde quand il le faut.
Il ne faut surtout pas oublier Marie Dea en douce épouse de Martoret (Yves Robert) dont Bourvil a eu été amoureux (éconduit) en son temps (autre sujet de rancœur)
Quant au facteur Déodat, trait d'union entre tous ces gens de la campagne, c'est Achille Zavatta ! qui joue le rôle avec une grande truculence.
Plusieurs scènes sont remarquables : la scène muette de la lettre entre Valérie Lagrange et sa petite sœur dont les mimiques expressives se suivent été s'adaptent, la scène où le facteur entre chez les Haudouin au moment du repas déclenchant une gêne entre les convives qui étaient en train de se traiter de noms d'oiseaux que tente de désamorcer le facteur en étant le seul à parler.
Et puis je ne résiste pas à citer la scène où un fils Haudouin, qui revient en permission du service militaire, raconte que les chefs veulent toujours que les soldats regardent vers l'Est. Sauf que pour lui, l'Est est sur sur sa gauche car au régiment, c'est toujours à gauche que le regard doit se tourner...