Vous ne pouvez pas rester insensible devant ce film. Vous ne le pouvez pas car, tel ce lourdaud un peu con qui vous collait à l’école primaire, La légende de Baahubali veut absolument devenir votre ami, et fera tout pour y parvenir.
De ses yeux bovins et larmoyants, il vous supplie de le regarder dérouler devant vous son interminable litanie de stupidités, enrobée du linceul dans lequel on empaquette le bon goût avant de le mettre en terre. Gêné, vous ne savez trop comment congédier le rustre, alors vous consentez à subir l’épreuve, vous voilant la face en vous disant que quelque chose de potable pourrait après tout en sortir.
Tout y passera, la comédie musicale criarde, la romance niaise, le film de super-héros excessif, le peplum kitsch, le revenge movie invraisemblable, et la saga dynastique indigeste. Dans ce dernier registre, on note tout de même une idée d'avenir : les mêmes acteurs jouent père et fils, indéniable avantage pour économiser sur les cachets. Le cinéma français devrait s'en inspirer pour atténuer l'impact de ses échecs commerciaux.
Tout à fait franchement, c'est incomparablement plus immature et puéril que les dessins animés que vous regardiez enfant, n'importe quel dessin animé, sans exception, aucune, que tchi. C'est juste con, irrémédiablement et irrécupérablement con, que ce soit dans l'intrigue, le développement des personnages, les dialogues. Rien à sauver.
Le tout prend place dans un décor de carton-pâte mâtiné de mauvaise CGI , impitoyable pour la rétine et infoutu de paraître crédible plus d'un bref instant. Le ralenti est utilisé jusqu'à l'overdose et les bases mêmes de la physique, notamment l'inertie et la gravité, se sont retirées de cet univers oublié des dieux, nous condamnant à contempler des plans totalement grotesques, moches à faire avorter une vache, fût-elle sacrée.
Ne nous leurrons pas, nous nous trouvons face à un étron, dont il n'est pas aisé d'affronter l'odeur et la texture. Sans doute est-ce là l'intérêt de cette purge, séparer les braves des tièdes, épreuve karmique et initiatique qui n'est pas sans présenter un certain charme.
Je dois en effet le confesser, Bahubaali m'a fait du bien, il m'a rassuré, pour tout dire. Etant totalement inculte eu égard au cinéma indien, je ne peux cacher que j'entretenais la peur panique d'y découvrir la supériorité culturelle absolue de cette vielle civilisation. L'Inde est de plus en plus riche, de plus en plus peuplée, le deviendra vraisemblablement plus que l'Empire du Milieu lui-même au cours du XXIe siècle, n'y aurait-t-il pas un véritable risque qu'ils nous écrasent matériellement ? S'ils devaient en plus faire la preuve de leur supériorité culturelle, tout espoir serait anéanti.
Je redoutais ainsi de découvrir dans ce simple blockbuster des trésors de subtilité, de sentir le poids des millénaires védiques m'écraser la gueule en faisant gicler ma cervelle primitive, bref, d'être aisément terrassé par le degré zéro des mystères de l'Inde éternelle.
Que nenni mes amis, je me suis retrouvé face à un autiste moustachu, cognitivement et socialement inadapté, aimant danser et chanter à tout propos et que, malgré son degré terminal de mongolerie, les gens du cru considéraient comme un dieu vivant et acceptaient pour chef. J'en conclus naturellement que les Indiens respectent le faible, notamment le faible d'esprit, que c'étaient des gens charmants et qu'il ne fallait pas s'inquiéter outre-mesure.
Surtout, je compris enfin que les Indiens appartenaient eux-aussi à cette exaltante fraternité dont je craignais qu'elle ne fût pas tout à fait universelle : celle de la plus immonde beaufferie. Oui, les Indiens sont bien nos semblables, des hommes simples qui s'ébrouent eux aussi dans la fosse septique de ce que l'on nomme communément le mauvais goût, identifié par Sylvain Tesson comme le "dénominateur commun de l'humanité". Réjouissons-nous de ces promesses de concorde, et savourons-en donc l'élixir stercoraire.