The worst thing is not knowing if you are doing good.
Il est impossible de réellement pouvoir choisir le moment le plus marquant de The Thin Red Line tellement cette immense fresque torturée, partagée entre son visage guerrier, merveilleusement et tragiquement poétique était d'une maîtrise et d'une intensité émotionnelle extraordinaire mais surtout troublante. Néanmoins, cette phrase du personnage de Sean Penn représente à elle seule ces âmes défigurées, écorchées à vif par cette force du mal née dans la violence du combat.
Terrence Malick ne se contente pas seulement d'exposer une réalité tellement pessimiste et brutale qu'elle en paraît palpable, Malick pousse surtout le genre du film de guerre dans ses extrêmes par le combat mental de centaines de soldats face à eux-mêmes et face à leurs actes dont ils ne semblent même plus avoir le contrôle ; la fuite est interdite, une vie est une vie, qu'importe combien seront encore debout à la fin.
Le vertige se fait ressentir en contemplant les immenses étendues naturelles de l'île de Guadalcanal qui emprisonne ces soldats et écrase de tout leur poids leur humanité. Leurs pensées sont sans cesse confrontées non seulement aux cris du Lieutenant-Colonel Gordon Tall (interprété par Nick Nolte), mais surtout aux cris de douleur de leurs frères d'armes tombés sur le champ de bataille. Ces dernières se brouillent progressivement pour laisser place à la folie, à la rage, la réflexion n'existe plus, seule compte l'appel de la guerre ou l'instinct de survie.
Tout est fait pour dépeindre un espace où l'espoir semble s'être éteint, où le rêve de la puissance militaire américaine a passé son cap de non-retour. Les soldats se déplacent dans cette espace en apnée sans s'en rendre compte par peur d'y laisser leur vie, ce n'est qu'en avançant dans leur mission et en laissant les cadavres derrière eux qu'ils commencent à craindre cette guerre à l'image du personnage de Sean Penn : insensible mais qui commence peu à peu à montrer ses craintes.
Le film n'a pas peur de questionner face à la fracture humaine, la place qu'un homme occupe dans un tel conflit, les horreurs qu'il peut y commettre et quel avenir l'attend. Le parallèle entre la beauté de la nature et la part d'humanité qui sommeille en chaque individu durant les premières minutes du métrage s'efface au fur et à mesure car elle n'est plus permise :
This war will kill you. You are not strong enough.
La poésie merveilleuse de la nature est remplacée par le no man's land, par le chaos, par un gigantesque piège où le temps est suspendu dans une réalité en sursis voire cauchemardesque. Mais ce cauchemar est suffisamment fort pour transmettre l'émotion au-delà de l'écran lorsque le spectateur repensera à ces soldats conscients de l'épée Damoclès qui leur pend au-dessus de la tête (la mort).
La liberté de vivre devient un luxe, alors ils rêvent d'une fin spectaculaire afin d'être remarqués au moins une fois dans leur existence. C'est dans cette douleur totale de la tourmente que ces soldats - à l'image des personnages de The Tree of Life - prennent une position de narrateur désespéré s'adressant et questionnant Dieu afin de trouver des réponses sur ce cycle responsable de tout commencement et de toute fin, sur la place qu'ils occupent dans le monde, pour témoigner de leurs véritables pensées en révélant l'hypocrisie de l'effort de guerre et la remise en cause du sacrifice.
Bouleversant et magnifique par sa beauté sensorielle, déchirant par sa fresque de guerre, The Thin Red Line est porteur d'un des plus durs mais l'un des plus beaux savoir du cinéma, celui formant les grandes œuvres : transmettre l'émotion.