Vingt ans après Les Moissons du Ciel, Terrence Malick revient en force dans le milieu avec La Ligne Rouge, un film de guerre. Mais il ne revient pas seul: c'est accompagné d'un casting 5 étoiles et d'un budget bien plus conséquent que pour ses deux premiers films qu'il réalise sa nouvelle oeuvre. Ne désignant aucun personnage principal en particulier, Malick nous narre la bataille de Guadalcanal, bataille de la Seconde Guerre mondiale entre Américains et Japonais, pour une île perdue quelque part dans le Pacifique.

Evidemment, on commence à connaître le bonhomme. A des années-lumière de se contenter des simples arcanes du film de guerre, Malick ajoute à son film une touche contemplative, entre flashbacks et images de la nature, ainsi qu'une réflexion quasi-métaphysique exprimée par les voix-off des personnages. Cette touche contemplative est néanmoins moins appuyée que pour Les Moissons du Ciel (on a moins de plans de poules), ce que j'explique par le fait que faire un film de guerre aussi contemplatif se serait révélé étrange, je pense. Autre nouveauté: ici, Malick a pensé à ajouter un scénario (il lui a quand même fallu vingt ans pour ça !) plus solide que pour ses deux dernières productions: à savoir que les personnages ont un but général: prendre cette île; et que l'intrigue s'organise, au départ, autour de ce but.

Quitte à rajouter une heure de plus que les Moissons du Ciel, synonyme de longueurs supplémentaires, Malick nous offre un récit plus vivant et moins lent, légèrement moins symbolique. Evidemment, les plans-métaphores prolifèrent toujours, mais d'une façon différente: les métaphores s'exercent surtout dans les décors, de jungles et de nature en général. Le film devient ainsi tout de suite plus léger. Bercés par l'une des meilleures partitions de Hans Zimmer, on suit, au long de ces deux heures et demi, des personnages auxquels on ne s'attache pas tellement, ce qui je trouve, nuit légèrement à la tension du film, même si la majorité des acteurs choisis se révèlent largement à la hauteur (Sean Penn, Jim Caviezel, Woody Harrelson, Adrian Brody).

Mais d'un autre côté, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est ce que Malick veut montrer avec ce film, et ce n'est pas la beauté de son scénario. C'est sans problème qu'il le sacrifie de nouveau au profit d'une poésie douce mais parfois emmêlée qui ne se fraye son chemin que dans les dernières minutes. Principalement animée par les flashbacks et les voix-offs, cette métaphysique que propose Malick autour de l'absurdité de la guerre par rapport à une nature si belle et indifférente en fond a parfois tendance à s'étirer, trop complexe ou allusive. Au final, ce que l'on retient véritablement du film, c'est cette leçon d'humanité que nous donne de nouveau Malick, déplorant doucement la guerre, et par extension la nature humaine. C'est au nom de cette dernière notion que je pose La Ligne Rouge comme le meilleur film de Terrence Malick parmi ses trois premiers, tant il s'était cantonné à une nature animalière et sauvage dans La Balade Sauvage et Les Moissons du Ciel. A travers un postulat presque existentiel sur le rapport de l'Homme à la nature, à l'amour, et de soi-même, Malick nous montre enfin à quel point l'être humain, lui qui use d'armes si destructrices, est fragile, tant la frontière entre vie et mort est mince.

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le 17 janv. 2015

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Kevin Soma

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