Dès que les lumières s'éteignent, on nous annonce que la production offre un morceau de musique le temps des innombrables logos. Tranquillement, La Loi de la jungle instaure d'emblée un rapport ludique avec la salle, et ce second long métrage d'Antonin Peretjatko est bien le digne successeur de son remarqué La fille du 14 juillet. Il fait d'ailleurs rempiler ses deux acteurs principaux («l'inénarrable Vincent Macaigne» et «l'ouragan Vimala Pons», comme le précise le générique !) pour mieux réinventer leurs personnages précédents. 

Cette fois, il n'est plus question de réduire la durée des congés estivaux, le pays ayant trouvé une solution plus pernicieuse, à savoir peupler le pays et ses administrations de stagiaires en mal de titularisation, Dom Tom inclus. Non rémunérés, exploités et peu considérés, les stagiaires servent de nouvelle main d'œuvre corvéable à merci. En plus d'épingler les travers de la bureaucratie, le réalisateur s'en donne à cœur joie en critiquant le diktat de la parité et de la représentativité.   



«En France, il n'est pas nécessaire de connaître un domaine pour en avoir la responsabilité»



 :  
voilà comment Marc Châtaigne, nouveau stagiaire du ministère de la norme (!), se voit attribuer la mission de valider un projet de station hivernale en plein milieu de la jungle guyanaise. Prenant exemple sur un projet réel - le fameux pont reliant la Guyane au Brésil, qui n'a jamais servi - Peretjatko force le trait pour souligner l'absurdité ambiante de ce périple architectural. En cela, son approche fait le grand écart entre considérations socio-économiques et loufoquerie en roue libre, tant La Loi de la jungle se sert d'éléments du quotidien pour les passer à la moulinette d'un humour incroyablement libre. Investissant son décor et ses enjeux administratifs, le cinéaste et son équipe offrent à nouveau ce qui manque trop souvent au cinéma d'auteur français : un univers. De fait, si le protagoniste est confronté à des clichés exotiques dès son arrivée (faune effrayante, bureaux sans dessus dessous, employés pépères...), le dépaysement est vite communicatif.  Peretjatko pose ainsi sa caméra dans des lieux aussi inventifs que les gags eux mêmes, territoires rêvés pour bâtir un écosystème cinématographique débordant de panache.  
   
Avec un tel parti pris, les références assumées de La Loi de la jungle se fondent vite dans la masse. Si le patronyme du héros, Châtaigne, rappelle celui de François Pignon (gaffeur fétiche de Francis Veber) , le plaisir éprouvé par le spectateur devant ce récit burlesque est parfois proche de celui procuré par L'homme de Rio de Philippe DeBroca, satire sociale en prime. Un tel vent de fraîcheur dans le monde de plus en plus formaté de la comédie française fait sacrément plaisir, a fortioti sur un pitch aussi permissif. Capable de donner à un célèbre personnage de roman d'aventures une incarnation ultra personnelle (Vimala Pons, géniale et sexy à mourir, incarne un Tarzan  à mi-chemin entre la délicieuse Anna Karina et la volcanique Calamity Jane !) ou encore de tabler sur de petits détails hilarants pour créer ses situations (le ministère de la norme, idée aussi impayable que le ministère des hostilités du Roi et l'oiseau de Paul Grimault), La Loi de la jungle fonce bille en tête. Le comique de répétition à la ZAZ, qui ne marche pas forcément le mieux ici, se rattrape avec bonheur grâce à son duo d'acteurs : aux côtés de Pons,  Macaigne emmène enfin son éternel personnage de trentenaire maladroit vers d'autres variations, et tous deux s'avèrent  merveilleusement complémentaires. Un couple à la fois naïf, sensuel et improbable que seul Alain Guiraudie peut envier actuellement, et dont l'écriture culmine après consommation d'une étrange boisson rose servie par un va-t-en guerre armé jusqu'aux dents !  
  
Grâce au style du jeune réalisateur, les références citées plus haut ne sont donc pas forcées mais dominées par le naturel de personnages qui vont malgré eux mettre à mal la bonne marche de projets capitalistes fous. On retrouve ici l'esprit de liberté qui faisait le sel de La Fille du 14 juillet, film-monde parallèle où les bacheliers vont directement à Pole Emploi, sûrs d'obtenir du boulot sur la seule bonne foi du diplôme ! Malgré son caractère agité, La Loi de la jungle aurait également mérité une intrigue moins dispersée pour ne pas tomber, parfois, dans un côté film à sketches trop cartoonesque. Un mal pour un bien, ce mélange du goût de l'absurde et de lyrisme restant des plus jouissifs. Et cette fantaisie explosive de marquer la rencontre d'excentricités cinéphiles de tous bords, guet-apens où l'irrationnel est roi.


Comme avec La Fille du 14 juillet, le jeune cinéaste place donc son personnage principal face à un mur administratif pour mieux l'embarquer dans un road movie qui l'éloigne de son petit quotidien. Situé aux limites du roman d'amour et du film d'aventures, il joue de l'antagonisme de deux personnages principaux, dans la grande tradition du buddy movie. Certes, le danger avec un film dont l'humour est ouvert aux quatre vents est de le voir prendre l'eau à force de non-sens. En dehors de quelques lourdeurs (dont une poignée de bastons laborieuses façon Terence Hill et Bud Spencer), La Loi de la jungle tient pourtant la distance et assume sa fantaisie lunaire autant que son énergie filmique. Puis entre nous, une comédie d'aventures francophone où les stagiaires deviennent des héros accompagnés d'une faune à la Ace Ventura, si ce n'est pas l'antidote à la paresse créative de tous les Camping du grand écran... 


Rawi & Fritz_The_Cat

Rawi
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le 19 juin 2016

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