La Loi du silence est le plus sous-estimé des films d’Alfred Hitchcock. C'est pourtant un très grand film noir, captivant, émouvant et bien sûr plein de suspense (il n'est pas le maître du suspense pour rien). Sa mise en scène capture à merveille la ville de Québec, sa culture québécoise catholique, son histoire, ses drames moraux et ses personnages.
Au Québec, un réfugié allemand Otto Keller (O.E. Hasse), assassine l'avocat Villette, lorsque ce dernier le surprend en train de lui voler 2 000 dollars. Keller confesse alors son crime au père Michael Logan (Montgomery Clift) pour soulager sa conscience. Or, l'avocat Vilette faisait chanter Ruth Grandfort (Anne Baxter), l'ayant surprise avec le père Logan. Ruth est amoureuse du père Logan, malgré les vœux religieux et malgré son mariage avec Pierre Granfort (Roger Dann). De plus, Keller portait une soutane, lorsqu’il commit le crime. Le père Logan sera donc interrogé par l'inspecteur Larrue (Karl Malden), mais à cause du secret de confession, il sera incapable de lui fournir un alibi.
Si le transfert de culpabilité était déjà un thème central de L'Inconnu du Nord-Express (1951), il gagne encore en force dans La Loi du silence (1953). C'est aussi un film qui nous interroge sur la justice, avec une personne accusée à tort qui doit faire face à l'injustice et c'est en cela que le film est un avant-goût du Faux-coupable (1956). Alfred Hitchcock est un perfectionniste et il a ses thèmes de prédilections, il n'est donc pas rare qu'un de ses films communique avec un autre. Il s'est même permis de réaliser le remake américain de l'un de ses propres films de sa période anglaise (L'Homme qui en savait trop 1934 / 1956). Avec Alfred Hitchcock, le cinéma c'est l'art de la répétition.
Le dilemme du film, c'est que selon la loi de l’Église catholique, il est spécifiquement interdit de révéler les péchés exposés dans l’intimité du confessionnal. Ainsi, le père Logan est en quelque sorte le complice du meurtrier, ne pouvant pas révéler son identité. Malgré son innocence, le père Logan se comporte comme s’il était coupable, de la même manière que Guy Haines (Farley Granger) assume une partie de la culpabilité de Bruno (Robert Walker) dans L'Inconnu du Nord-Express. Toute la tension du film provient du fait que le spectateur connait le dilemme qui ronge le père Logan et de son désir de le voir rompre ses vœux religieux, pour sauver sa propre vie ... et peut-être aussi pour voir le couple Montgomery Clift - Anne Baxter se reformer à l'écran (l'alchimie est évidente entre les deux acteurs).
Montgomery Clift communique son tourment intérieur, uniquement par l’expression de son visage, à travers ses yeux. On a tout de suite de la sympathie pour un homme qui pourrait facilement faire l'objet de moqueries. Il pourrait facilement se disculper du meurtre, mais pour protéger Ruth il s'y refuse. Compatissant, grave et sobre, Montgomery Clift communique les émotions contradictoires du prêtre. Son visage, vulnérable mais déterminé, révèle sa souffrance avec une intensité éloquente.
Anne Baxter est toujours aussi belle et talentueuse. C'est l'atout charme du film et c'est aussi en quelque sorte une femme fatale. C'est à cause d'elle que le père Logan est accusé du meurtre. Quant à Karl Malden, il est à noter qu'il interprète un inspecteur intelligent, ce qui n'est pas très fréquent chez Alfred Hitchcock (en général, les inspecteurs ne sont pas particulièrement malins dans ses films). Rusé et déterminé, il recherche chaque bribe d’information pour inculper le père Logan.
D'un point de vue formel, La Loi du silence est l'un des plus beaux films en noir et blanc d'Alfred Hitchcock. Le fait d'avoir filmé sur place, au Québec (et pas en studio), y est surement pour quelque chose. Tous les codes du film noir sont là, l'inspecteur, la femme fatale, une atmosphère lourde et sombre ... et plein de suspense.