C’est l’histoire d’un réalisateur doué.
Un réalisateur doué, qui le sait, et qui veut que ça se sache. Bon, ok, ça se sait déjà, vu qu’il n’en est pas à son coup d’essai, et qu’avec White God, Kornel Mundruczo avait déjà démontré qu’il est un technicien malin et audacieux. Pas étonnant donc qu’il ait réussi à se faire financer son nouveau jouet, tant l’industrie du cinéma manque de réalisateurs doués. Un jouet, parce que La lune de Jupiter est avant tout un jouet pour réalisateur facétieux. Un cadeau de noël dans les chaussons du réalisateur hongrois. Le pitch ?: “j’aime les plans séquence, je sais faire des plans séquences, et je vais vous montrer à quel point je fais bien des plans séquences”. Vous me direz c’est plutôt alléchant quand on aime le cinéma. Et effectivement, le résultat a de la gueule. Dès la première minute du film, nous enfilons les pompes d’un clandestin, embarqué dans un passage de frontière hasardeux. Véritable bijoux de mise en scène, on est scotché par cette séquence haletante, qui nous fait vivre de l’intérieur le bonheur d’être un pauvre migrant traqué par flics qui ne rêve que de vous abattre sur place. Séquence sublime, qui s’achève par un “élément déclencheur” surnaturel qui laisse présager un film fantastique européen maitrisé et abouti: de quoi saliver de bonheur. L’excitation est donc à son comble au bout de 10 minutes.
D’autant que la suite nous relance dans cette attente. Après une scène d’exposition du protagoniste plutôt décompressive, le réalisateur nous replonge dans l’enfer de la condition de migrant avec un autre plan séquence sublime, suivant le protagoniste dans sa traversée d’un camp de réfugiés. L’histoire va alors se mettre en place, le médecin cynique et désabusé va rencontrer le réfugié messianique, et va pouvoir débuter son parcours rédemptoir...
L’idée est séduisante. Tous les ingrédients sont réunis pour construire un récit aboutit. Malheureusement le déroulement du fil de l’histoire ne conduit qu’à un empilement de scènes spectaculaires, bien filmées, mais redondantes, et qui peinent à convaincre tant le cheminement du protagoniste n’est pas convainquant. Il faut croire que le réalisateur est trop obnubilé par le défi technique pour se soucier de ce qu’il a à raconter. Alors oui, on assiste à des scènes bien filmées. Oui, la poursuite en voiture est un modèle du genre. Oui, il y a une belle maitrise des effets spéciaux. Mais l’ensemble manque du souffle vital qui fait adhérer à un récit. On ne peut donc que regretter que ses producteurs n’aient pas réussi à mieux cadrer les velléités mégalomanes d’un réalisateur plus technicien qu’auteur, en verrouillant notamment un peu plus le scénario avant la mise en production du film.
Reste un vrai plaisir visuel, la confirmation que le cinéma hongrois est bien un des plus aboutit du monde, et le soulagement de constater qu’il existe encore la possibilité de prendre des risques en Europe. En espérant que ça puisse durer.