The haunting trouve sa place dans l'histoire du cinéma en tant que film matriciel : il annonce d'autres films tels que Amityville (1979), ou la franchise Paranormal activity (depuis 2009). Le film est remarquable pour ses audaces de cadrage, encouragées par le fait que le genre horrifique autorise des libertés par rapport au classicisme. L'idée de centrer l'intrigue sur le personnage incarné par Julie Harris est très judicieuse, ce qui donne un motif psychologique à un genre de film qui souvent en manque cruellement. Eleonore fuit un milieu qu'elle ne supporte plus, parce que castrateur [elle vit chez sa soeur et son beau-frère], cherchant à provoquer un événement dans sa vie si morne et si vide. Ainsi, Eleonore passe d'un lieu étriqué [la séquence dans sa chambre avec sa soeur, son mari et sa fille est éloquente] à un lieu immense, ouvert, bref propice à toutes les rencontres et à toutes les aventures. On trouve là le motif qui la pousse à se rendre au manoir et qui donne la clé du film : le grand événement de son existence sera de mourir, d'être ajoutée à la liste des morts mystérieuses de ce manoir. A cela s'ajoute un autre trait psychologique : le sentiment de culpabilité. En effet, le spectateur apprend progressivement qu'Eléonore se sent coupable de la mort de sa mère qu'elle estime avoir délaissé au moment où celle-ci avait le plus besoin de son aide. Ces deux traits psychologiques, qui s'expriment sous la forme d'une névrose se traduisant par de fréquents monologues intérieurs, expliquent qu'elle ne pouvait qu'intéresser l'esprit d'Abigail. Rappelons-nous que cette vieille dame, qui a toujours vécu au manoir, est morte au moment où elle avait besoin de son infirmière, occupée alors dans les bras de son amant. Enfin, le manoir lui-même est un personnage, et pour cause : il est possédé par l'esprit d'Abigail. Il s'anime, chuchote, pleure, donne des coups de canne ou de bâton... Le film ne montre rien [sauf vers la fin du film où l'on croit à une apparition... qui n'est autre en réalité que la femme du Dr Markay], mais s'appuie sur les sensations [surtout auditives], ce qui est assez intéressant : nous sommes dans une esthétique de la terreur et non de l'horreur [l'horreur suppose la monstration]. Ce manoir est remarquable pour sa décoration tellement surchargée qu'elle en devient étouffante et inquiétante. Un espace à la fois ouvert [car immense] et fermé [clos et étouffant]. A l'instar de la tragédie classique, ce sont dans les espaces clos que les tourments, les névroses des personnages s'expriment et explosent.
A la lecture de ce qui précède, le lecteur pourrait crier au génie plutôt qu'au gâchis. Le gâchis, le voici. D'abord, les autres personnages n'offrent aucun intérêt, sauf à incarner des stéréotypes : le scientifique sensible au surnaturel, le jeune freluquet incrédule, la brune piquante. A propos de cette dernière, on notera que tout l'oppose à Eléonore : brune, belle et maquillée, sûre d'elle, vêtue de noir. Le réalisateur tente maladroitement d'explorer le thème de la géméllité : Julie Harris dit qu'elles pourraient être soeurs, elles dorment côté à côte dans deux lits identiques... cette idée qui aurait pu être intéressante ne mène finalement nulle part. Le spectateur ne comprend pas, comme il ne comprend pas l'intérêt des autres personnages. Je n'ose à peine parler ici de la partition des genres que le réalisateur exploite à coeur joie : les hommes sont du côté de la raison, de la science, tandis que les femmes sont tournées vers le monde intérieur, celui des sentiments, des émotions et l'hystérie.
Le plus grand reproche que l'on puisse faire à ce film est sa vacuité : les audaces de cadrage ne sont jamais mises au service de la narration et relève plutôt d'un maniérisme vite lassant ; les conversations sont longues, ennuyeuses, et ne jouent aucun rôle dans l'action. Elles permettent seulement au film d'atteindre les 1h50. Ajoutons une intrigue amoureuse improbable : Eleonore tombe sous le charme du Dr Markay avant d'apprendre, honteuse et confuse, que celui-ci est un homme marié [découverte qui justifie à elle seule l'apparition de l'épouse dans l'histoire].
L'insistance excessive sur les pensées du personnage de Julie Harris devient vite insupportable : tout est explicité au spectateur. Aucun implicite. Toutes les informations nous sont rapidement livrées puis ressassées à l'infini... du moins jusqu'à la fin du film.
L'emprunt même à Psychose, qui aurait pu être une bonne idée [le personnage de Janet Leigh fuit elle aussi, croyant trouver un meilleur avenir, mais finira tragiquement ; les monologues intérieurs au volant de la voiture] s'avère finalement maladroit car l'idée de l'emprunt n'est pas exploitée.
En conclusion, un film qui partait d'une idée intéressante voire stimulante, un début [le récit ouvrant le film] magistral et plongeant le spectateur dans l'atmosphère recherchée, suivi d'une déception grandiose, le film enchaînant les scènes inutiles et maladroites [donnant envie d'arrêter le visionnage dudit film], avant un rebondissement final des plus passionnants [la montée de l'escalier de la bibliothèque, puis le départ du manoir]. Le film ne soutient pas la comparaison avec le magnifique film de Jack Clayton, Les innocents (1961).
Dommage. Quel gâchis!