CRITIQUE A SPOILERS
La magnifique photographie en noir et blanc à haut contraste du film rappelle le néo-noir hollywoodien, mais avec une intensité émotionnelle plus forte. Les scènes classiques sont entrecoupées d’expérimentations visuelles diverses, créant une qualité onirique caractéristique du cinéma japonais. Cette esthétique renforce le surréalisme de la narration.
Number One et Mizako ne sont pas des individus pleinement réalisés mais des archétypes reflétant des concepts. Number One incarne le mal pur, tandis que Mizako représente l’érotisme de la mort et du meurtre. En fait, Number One est à la fois sadique et presque comique, s’enfermant avec sa cible et se suspendant par le bras devant la police. Sa manière d’incarner le mal est profondément grotesque, reflétant à nouveau les aspects de lui-même que le protagoniste essaie de fuir.
L’épouse du protagoniste en sait plus que lui sur la mission et lui révèle tout. Cette dynamique soulève des questions intrigantes sur son rôle dans l’histoire — pourrait-elle être le cerveau derrière l’assassinat ? Tout cela a un sens. C’est une perte progressive de pouvoir. Une fois qu’il pense qu’elle sait tout ce qu’il ignore, que ce soit un rêve ou la réalité, lorsqu’il réalise qu’il a en fait perdu le fil de l’histoire, elle aussi devient une figure ennemie. C’est pourquoi il se retourne et dit : « Je ne suis pas une bête. Tu l’es peut-être, mais pas moi », en référence à la scène de sexe précédente.
Au lieu de tuer l’anti-héros immédiatement, N.1 le ramène en ville, le laisse rentrer chez lui, puis le torture par téléphone, lui disant qu’il est assiégé, provoquant un état de paranoïa constant. Il aurait pu le tuer sur la plage, mais il a préféré la torture psychologique. Une figure du Mal. J’assume que N.1 fait partie de la même organisation que le personnage principal a trahie en ratant l’assassinat proposé par Mizako. Ou alors il représente simplement le meurtre, son incarnation. Le lien entre N.1 et Mizako, s’il existe, reste flou.
La trajectoire de ce film fait écho à celle de Birds de Takashi Miike, où la narration devient de plus en plus onirique et surréaliste à mesure qu’elle approche de sa conclusion. Le fait que la fin se déroule dans un paysage de rêve vaste mais oppressant, ressemblant à un mélange entre une salle de cinéma et un ring de boxe, atteint un haut niveau de conscience de soi dans la méta-narration. On a l’impression que le film scrute votre âme, sait que vous le regardez, et vous fait un clin d’œil pour confirmer son existence en tant qu’art.
Le sort de la femme fatale, Mizako, reste incertain au-delà du métaphorique. Ils ne peuvent se résoudre à s’entretuer, puis elle s’en va, demeurant mystérieuse, un concept suspendu dans le temps. Une fois à la plage, le protagoniste s’engage dans une fusillade, ainsi qu’un homicide involontaire avec un véhicule, contre des yakuzas inconnus. Leur identité est également floue, comme si tout devenait un brouillard d’archétypes. Cela est directement suivi par sa première rencontre avec Number One, qui lie bien cette idée.
Fait intéressant, je pense que cet homme commence le film confus, et le termine encore plus confus. Rien n’a changé dans sa vie. Mon analyse pourrait sembler simpliste, mais au cœur de Branded to Kill, il y a un avertissement sur les dangers de se laisser piéger dans un rôle — n’importe quel rôle, même et surtout s’il est auto-assigné. Si toute votre personne devient liée à un seul rôle ou travail, comme celui de tueur, d’amant, de mari, peu importe, et que vous échouez finalement dans ce rôle, alors vous n’avez plus rien ; vous vous effondrez ou vous dégonflez comme un ballon vide. Comme le souligne avec pertinence N.1, « Les tueurs existent dans un lieu au-delà de la solitude. »
Alors que Number One disparaît dans l’obscurité, on ne sait pas s’il meurt ou non ; cela devient sans importance, confirmant ma théorie des archétypes. Tout comme Mizako, son but principal était de servir de miroir au protagoniste principal, car il n’est pas seulement la personnification du mal, mais surtout l’idéal impossible et parfait du tueur, cette figure à laquelle notre héros tragique croyait aspirer, ou qu’on l’avait induit en erreur à croire qu’il aspirait à être. Lorsqu’il crie « Je suis Number One ! » à plusieurs reprises dans la séquence finale, on réalise ce qui nous avait été montré depuis le début : ne pas être tué par Number One, le tueur ultime, et survivre comme l’ombre de sa menace est un destin bien pire que de se faire tuer. Ainsi, la mort devient une forme de soulagement du fardeau d’être celui qui donne habituellement la mort.