Il y a plusieurs choses que j'aime bien dans ce polar de Pierre Granier-Deferre sorti en 1965 que je trouve injustement oublié.
D'abord, l'histoire tirée d'un roman (que je n'ai pas lu) d'Alphonse Boudard mais adapté par une pointure du roman noir, Albert Simonin : un truand, Alphonse le Malin, croise pour son malheur la route d'autres truands de petite envergure, Edmond le naïf, le Rouquemoute et Arthur le Mou. Mauvaise pioche car il va finir au trou. Quelques années plus tard, à sa sortie, il va se venger mais tombera dans un autre piège tendu, cette fois, par des gens insoupçonnables ou normalement honnêtes. Tous des cloportes.
J'aime bien le sens de cette histoire. Les cloportes sont des insectes qui naissent dans la merde, puis pullulent et même se transforment sur le dos des (honnêtes) gens, en suçant leur sang. Certains cloportes se transforment jusqu'à avoir pignon sur rue. Alors qu'il suffisait de les écraser au départ pour avoir la paix. Oui, mais c'est bien gentil de vouloir les écraser mais c'est qu'il y en a ! Il y en a tellement que ça en devient illusoire, … Le propos est joliment illustré dans le film dans les génériques de départ et de fin …
Il y a les dialogues savoureux de Michel Audiard même si je crois reconnaître au passage quelques reprises des dialogues des "tontons flingueurs". Mais j'aime bien retrouver ce j'aime ou que j'ai aimé.
Ensuite, j'aime bien le casting royal de ce film.
Lino Ventura dans le rôle d'Alphonse le malin, évidemment pas si malin que ça. L'homme, un truand, qui a eu son heure de gloire et qui a un code d'honneur (à l'ancienne) sans se rendre compte que le monde bouge, que les cloportes qui n'ont pas de règles peuvent l'emporter.
Charles Aznavour dans le rôle du premier cloporte, ancien copain de classe d'Alphonse, du genre geignard qui n'a jamais de chance et est toujours en train de taper les potes. Il s'est acheté une façade en devenant brahmane ou fakir, en tous cas, un sage oriental.
Georges Geret, deuxième cloporte, le rouquemoute, du genre visqueux et vantard. Excellent dans le rôle de l'incapable qui s'y croit et s'illusionne. C'est comme Maurice Biraud, le troisième cloporte dans le rôle du truand trouillard et lâche.
Mais c'est pas tout ! Face à Ventura et à ces loquedus, il y a une floppée de seconds ou troisièmes rôles savoureux comme Françoise Rosay en négociante et experte en armes ou en outillage pour perceur de coffiots. Même Daniel Ceccaldi dans le rôle du flic tenace comme les morpions (autres petits cloportes) est pas mal. Ou Pierre Brasseur dans le rôle d'un cloporte dans le genre gras qui de receleur va se métamorphoser en marchand d'art.
Par contre, Irina Demick, de gentille, mignonne et honnête femme va se métamorphoser en un ignoble cloporte, une belle salope. Intéressante réversibilité.
Et je vais terminer par le dernier point que j'aime bien dans ce film qui est la musique. Elle est signée Jimmy Smith, un musicien de jazz que j'aime bien ; il a connu la gloire par l'utilisation de l'orgue Hammond. Même si beaucoup de gens le critiquent car c'est une musique douce mais très répétitive avec de temps en temps de petites variations. Les mauvaises langues appellent ça "la musique au kilomètre". Elle est justement bien adaptée à ce film pour signifier ce grouillement des cloportes qui évoluent, croissent et prospèrent sans qu'on s'en aperçoive vraiment. Pour la petite histoire, j'ai bien aimé Jimmy Smith dès l'adolescence car c'est la musique idéale pour, par exemple, accompagner un moment de lecture ou faire un travail qui demande un peu d'attention.
Oui, je confirme, j'aime bien ce film même si des polars, il y en de bien meilleurs, de plus percutants ou plus impétueux. C'est un film que je revois toujours volontiers.
C'est bien un film noir même s'il donne l'impression d'une certaine affabilité ou d'une certaine complaisance. Sur le fond, il est parfaitement noir à cause de ces cloportes qui ne cessent de croître et embellir pour notre malheur à tous …