Thomas Salvador s'était fait repéré avec une première réalisation autour du super-héros nommée Vincent n'a pas d'écailles (2014). Le revoilà bien des années plus tard avec un film tout aussi atypique qui germait dans sa tête bien avant son premier long-métrage. Voulant être guide de haute montagne dans sa jeunesse, Salvador a fait de l'alpinisme et avait eu l'idée d'un personnage qui monte au sommet et ne veut plus y redescendre ; puis est sauvé par un alpiniste. Néanmoins, il a arrêté le projet suite à la mort en pleine montagne de son acteur principal de l'époque Patrick Berhault. Le projet a donc germé au fil des années et Salvador s'y est remis après Vincent n'a pas d'écailles. Si le réalisateur songeait au départ à une poursuite dans le genre de Chasse à mort (Peter Hunt, 1981), le fantastique s'est de plus en plus invité, tout comme l'aspect écologique beaucoup plus évident de nos jours (si certaines choses arrivent dans le film, c'est à cause de la fonte des glaces).
Présenté à la dernière édition du Festival de Gérardmer, La Montagne a reçu les Prix de la critique et du jury. Au premier abord, La Montagne désarçonne car on se demande bien où est le fantastique dans cette drôle d'épopée où le réalisateur se met à nouveau en scène. Le film n'est pas non plus un survival, puisque le personnage principal fait des allers et retours entre la nature (la montagne) et la civilisation (un restaurant et sa chef, un hôpital, ses proches), mais toujours avec un plaisir communicatif.
Le spectateur voit un homme qui pourrait très bien être lui-même, dans une quête de bien-être et de lâcher-prise. Pierre s'épanouit non plus en vendant des robots pour des entreprises, mais en vivant pleinement l'instant présent en grimpant les sommets de Chamonix. Salvador réussit à capturer l'aura de la montagne, devenant un personnage à part entière avec un aspect apaisant, puis menaçant qui ne fait pas de cadeau quand il le faut. Ainsi, Pierre se met de plus en plus en danger, au point de se casser la figure ou de repousser ses limites. La réalité a d'ailleurs dépassé la fiction, puisque Louise Bourgoin témoignait de la disparition durant les prises de vues de deux personnes partant en même temps que l'équipe du film. Sans compter le tournage difficile où il fallait marcher pour atteindre tel ou tel endroit, dans le froid et la neige, avec parfois une équipe réduite au vue de certaines scènes périlleuses (qui pouvait être composée de quatre personnes seulement). Mais le résultat en valait la peine.
C'est à un moment inattendu que le film passe au fantastique et l'obsession va s'intensifier. Salvador va alors faire dans l'artisanat, quitte à utiliser des effets-spéciaux pratiques plutôt que des CGI, que ce soit en filmant devant des blocs de glace ou en utilisant des marionnettes à peine améliorés par des effets-visuels.
Les lueurs sont ainsi des créatures qui pouvaient très bien exister avant l'arrivée de l'Homme et qui reviennent à cause du réchauffement climatique, le glacier fondant ou voyant sa roche se briser. Leur camouflage est banal et naturel, à l'image d'un hérisson se mettant en boule pour se protéger. Ici la lueur va s'arrêter de bouger et redevenir une pierre dès qu'une lumière se pose sur elle. Quant à la transcendance de Pierre dans la roche, elle permet certains des plans les plus hallucinants vus ces dernières années, le réalisateur expérimentant avec lui-même déformé par la glace, au point de donner lieu à de drôles de formes.
A l'heure où le cinéma français se fait constamment dégommer pour un manque d'ambition visuelle dû notamment à un manque de moyens, La Montagne apparaît comme un parfait contre-exemple avec de la débrouille et une qualité visuelle indéniable à base de beaux paysages et d'expérimentations, le tout sans partir dans des budgets frappadingues (3,3 millions d'euros). On peut reprocher la banalité de certains dialogues et une histoire d'amour qui se concrétise un peu tard. Si on peut avoir quelques réserves sur le jeu un brin monolithique de Salvador, Louise Bourgoin confirme toujours un peu plus qu'elle est une actrice française importante. Son personnage pourrait au premier abord faire office de rôle fonction (la restauratrice bonne copine), mais le réalisateur amène les choses petit à petit jusqu'à en faire une relation amoureuse évidente. Le respect est mutuel et elle n'a pas besoin de lui demander certaines choses devant l'évidence. La simplicité fonctionne souvent mieux que la surexplication.
La Montagne se révèle être une sacrée proposition de cinéma et sa dernière demi-heure le fait aller dans ce que vous verrez de plus mémorable dans le cinéma français de 2023.