Je ne voulais pas me mettre devant La Montagne Sacrée. J'avais peur. Peur d'être déçu, après avoir vu le délirant El Topo et le formidable Santa Sangre. Mais ce soir, je me suis dit : ça y est, c'est pour aujourd'hui. Je suis prêt, je suis suffisamment initié à Jodorowsky et assez ouvert d'esprit, je peux regarder La Montagne Sacrée. Retenez d'ores-et-déjà ce premier enseignement : on n'est jamais vraiment prêts à avoir ce film.
J'ai pourtant visionné pas mal de films étranges ou subversifs, notamment Eraserhead, Pink Floyd : The Wall, ou encore Le Festin Nu, pour ne citer que les plus marquants. Dans le cas de La Montagne Sacrée, il s’agit de se laisser aller à une contemplation esthétique, qui nécessite de ne pas se demander pourquoi.
On y verra tout plein de satyres de la société, que ce soit la guerre, la dictature, l’industrie, le sexe, la religion… Jodorowsky démantèle tous les sujets dans l’objectif de nous montrer une chose, c’est qu’on en fait ce que l’on veut ! Je pense qu'il s'amuse, durant tout le film. Il se lâche, il extériorise tout ses pensées surréalistes et, pour faire un parallèle, il transforme en or ce qui peut apparaître comme un excrément.
Je me relis, et je me dit que tout ça, ça fait un peu branlette intellectuelle. Donc petite parenthèse à ce sujet : la branlette intellectuelle concerne les artistes aux œuvres hermétiques, dont la pensée surpasse par principe celle de l'ignare, et dont le contenu artistique se révèle souvent être vide, futile, et beaucoup moins novateur que ce qu'il prétend être. C'est en quelque sorte l'héritage de la modernité (vouloir aller toujours plus loin dans l'émancipation des codes). Dans le cas du film de Jodorowsky, j'ai plutôt l'impression qu'on a au contraire affaire à une œuvre délirante, tolérante, qui ne demande qu'à être abordée, ce qui colle parfaitement avec les valeurs de liberté d'expression et d'affranchissement des règles, dans les années 70, qui succèdent à la Nouvelle Vague.
La Montagne Sacrée s'ancre donc parfaitement dans une spiritualité inhérente à son époque. Probablement sous drogue, Jodorowsky soigne l'esthétique du film en proposant des idées originales et uniques dans chaque plan ; on se retrouve souvent béa d'admiration, à se demander quelles sont et que signifient ces si belles images.
Évidemment, il ne faut pas chercher une raison à chaque élément de ce film, ce ne sont que des impasses. "No reason", dirait le personnage dans l'intro de Rubber. Mais ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de raison que pour autant ça ne fait pas sens. La fin, dont la facilité n’a d’égale que son audace, permet à La Montagne Sacrée de transcender son statut de film, ce qui est une évidence pour un film avec de telles ambitions.
Je me demande toujours comment Jodorowsky s'y prend pour organiser son équipe et réunir tout ce cirque qui défile à l'écran. En vrac, on a : un homme-tronc, une cinquantaine de statues de Jésus, un chimpanzé, un monolithe géant, une femme-girafe à poil, un bœuf et un vautour, un hippopotame, un éléphant, plein de grosses mygales ainsi que de nombreuses salles aux aspects psychédéliques conçues pour l'occasion. On retrouve ce type de casting dans chacun de ses films...
Regarder La Montagne Sacrée constitue une expérience vraiment unique, je pense que ce film marque chaque personne qui le regarde. Pourtant, je reconnais que j'ai préféré Santa Sangre dans son esthétique plus unie, plus homogène, avec une histoire tout de même moins tordue et des personnages plus profonds. Je recommande évidemment de voir La Montagne Sacrée, de préférence à deux afin de pouvoir débattre du fond du film plus aisément. C'est un film qui fait vraiment réfléchir sur ce qu'on aime et ce qu'on peut faire au cinéma.