Son précédent long-métrage El Topo ayant acquis le statut de film culte au fil des fameuses projections de minuit, Alejandro Jodorowsky se voit donc offrir l'occasion de mettre en images un délire encore plus grand, directement inspiré des écrits du prêtre Juan de Yepes Alvarez et de René Daumal.
Financé à hauteur de 750 000 dollars avec des capitaux venus du Mexique et surtout des USA (dont certains de la part d'Allen Klein, manager entre autres des Rolling Stones et des Beatles), La Montana Sagrada est la parfaite symbiose entre les obsessions de son auteur et les conditions d'un tournage constamment sous LSD et autres psychotropes. Tout y est démesuré,absurde, fou, comme si l'on avait laissé le papa de Fando y Lis dans un immense magasin de jouet avec pour seule consigne d'y aller à fond et de laisser libre cours à sa folie créatrice.
Mais à l'inverse de son premier long-métrage, La Montana Sagrada ne se contente pas d'aligner des plans sans aucun sens ou fil narratif, au grès des envies et des visions de son cinéaste. Bien au contraire, Jodorowsky utilise une forme baroque et avant-gardiste afin de mieux illustrer son propos, tout à la fois quête spirituelle que violente charge contre un monde noyé sous des hectolitres du sang le plus rouge.
Par le biais de tableaux tous plus délirants les uns que les autres, convoquant divers courants artistiques dans un maelstrom de folie furieuse, Jodorowsky pointe du doigt une société où l'être humain n'est plus qu'une forme vide, un objet de profit, où tout est sujet à une récupération économique, religieuse, politique ou idéologique. A travers les portraits successifs de monstres capitalistes prêt à tout pour accéder à l'immortalité, le réalisateur dézingue un à un les piliers de la civilisation contemporaine et leur instrumentalisation des masses, qu'il s'agisse de l'église, des autorités, du commerce, du divertissement, de la mode ou même du monde des arts.
Extrêmement difficile à aborder, parfait exemple de l'oeuvre qui divise, qui fascine autant qu'elle agace, La Montana Sagrada est selon moi un monstre monumental, complètement dingue pour l'époque, d'une richesse formelle et thématique qui m'aura laissé sans voix. Et Dieu sait que j'aime causer.