Après avoir réalisé un premier court-métrage de fin d'études intitulé Pin Ups en 2013, Romain De Saint-Blanquat s'est vu couronné lauréat de la Fondation Gan pour le cinéma. Malgré tout, le financement de son premier long va péniblement tarder au sein d'un contexte économique difficile et le jeune cinéaste doit brétailler durant quelques années pour arriver à ses fins. En 2024 sort enfin La Morsure, œuvre plus ou moins identifiable qui se voit vendue comme un film fantastique par son distributeur KMBO et l'ensemble des médias. Ce qui va d'ailleurs permettre au long-métrage d'être officiellement sélectionné pour le 58e festival de Sitges où il remporte le prix Carnet Jove du Meilleur film. Lors de sa sortie en salles en mai 2024, le film totalise seulement 3140 entrées aux quatre coins de la France, passe totalement inaperçu et se voit relégué au fond du placard, KMBO annulant définitivement l'idée d'une hypothétique édition physique.

Quel dommage…

Oui, dommage, car La Morsure reste une proposition extrêmement rare en France. Imaginez Martin de George A. Romero revisité par Jean Rollin au plus haut de sa forme, le tout secoué au shaker par la poésie de Jean Cocteau, et vous obtenez un minuscule aperçu de ce qu'est La Morsure. Une simple esquisse car le jeune Romain De Saint-Blanquat est un cinéphile averti et s'amuse à concocter un excellent met pour accompagner son cocktail et convie Agnès Varda, Robert Bresson, Louis Malle, Bruno Gantillon et Joël Séria (époque Mais Ne Nous Délivrez Pas Du Mal) pour festoyer. Excusez du peu… Et tout cela sans sombrer une seule seconde dans l'étalage de culture cinématographique ou encore dans l'hommage pusillanime et relou.

Son histoire sombrement gothique, De Saint-Blanquat la maîtrise et absolument rien ne lui échappe. Son scénario est par ailleurs un pur bijou d'écriture où chaque scène et chaque réplique ont été étudiées pour resplendir. Un travail d'orfèvre que le cinéaste nous offre enveloppé dans du velours évidemment noir de jais.

Nous sommes en 1967 et l'année scolaire de Françoise et Delphine au sein d'un établissement catholique rigoriste n'est pas pour les épanouir. Tandis que la guerre d'Algérie bat son plein, les deux adolescentes de 17 ans rêve d'un ailleurs, loin de cette France morose où les jeunes soldats reviennent traumatisés. Quitte à rêver de leur propre mort et d'y croire, ce qui est le cas de Françoise, persuadée de trépasser au bout de la nuit. Invitées par des garçons du village, elles fuguent pour les rejoindre dans une maison abandonnée où se déroule une fête costumée clandestine. Une fête peuplée d'êtres singuliers qui va permettre à Françoise d'exacerber sa soif de révolte, de romantisme et de liberté…

En utilisant certains clichés propre aux films de genre afin de symboliser le for intérieur d'adolescentes étouffées par les conventions. De Saint-Blanquat a sûrement perdu les médias qui ont continuellement clamé l'appartenance du film au domaine du fantastique. Le métrage en est pourtant très loin. Et même si les critiques ont été positives dans l'ensemble, elles ont sûrement dérouté le public qui ne s'est pas senti concerné par cette sublime histoire d'amitié entre filles, puis d'affection réciproque entre un étrange jeune homme persuadé d'être un vampire et notre héroïne, Françoise, qui envoie furieusement paître toutes les conventions morales et sociétales. À la manière du Morgane Et Ses Nymphes de Bruno Gantillon, tout est ici symbolisé avec une pertinence rare, la mort s'octroyant le privilège d'être un intense orgasme face au désespoir communautaire.

Derrière sa façade sombre et désespérée, La Morsure invoque la lumière incarnée par une formidable comédienne nommée Léonie Dahan-Lamort qui ensorcelle (dans le sens littéral) le métrage de sa charismatique omniprésence. Gothique jusqu'au bout des ongles, la presse n'a eu de cesse de comparer la jeune actrice à Isabelle Adjani dans le remake de Nosferatu orchestré par Werner Herzog. À 100 000 lieues des affligeantes performances d'actrices pourtant ultra célébrées dans notre pays (au hasard Mallory Wanecque, Géraldine Nakache, Louane et beaucoup d'autres), Léonie Dahan-Lamort s'impose à l'écran à l'aide d'un simple regard et nous guide jusqu'aux tréfonds de ses émotions toutes plus bouleversantes les unes que les autres. Et si le reste du casting se voit également brillant (mention spéciale à Lilith Grasmug qui pourrait ici incarner un simple rôle de faire-valoir mais transcende son personnage grâce à une performance aiguisée), l'on ressent que Romain De Saint-Blanquat a pris un vif plaisir à diriger son petit monde.

Visionner La Morsure en revient à se plonger dans un vieux numéro de Midi-Minuit Fantastique, à s'initier à l'ésotérisme avec sa meilleure amie lors d'une nuit de pleine lune, à faire découvrir La Rose De Fer (à mes yeux, le plus beau film de Jean Rollin) à des potes biberonnés au Seigneur Des Anneaux, Star Wars ou autres Harry Potter et qui trouvent ça forcément nul et désuet. Parce que La Morsure est tout simplement un poème cinématographique comme l'on en voit rarement, abordant l'errance adolescente face à des questionnements philosophiques, psychologiques, cabalistiques et mortuaires. Une ode à la liberté étouffée par la société pré-68, traumatisée par une guerre lointaine et sans nom, puis rythmée par de superbes chansons sixties de The Dreamliners, The Seeds ou encore The Chymes. Une réussite quasi parfaite, surtout en gardant en tête qu'il s'agit d'un premier film.

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