« La Mort aux trousses » fait partie des quelques films d’Hitchcock les plus célèbres. De nombreux éléments du film – la séquence de l’avion, immortalisée par sa jaquette, le train et les sous-entendus sexuels – dépassent l’aura seule de l’œuvre. Le film sort en 1959 avec Cary Grant dans le rôle principal, pour la plus grande tristesse de James Stewart qui espérait obtenir le rôle (il se consolera toutefois avec le très honorable « Autopsie d’un meurtre »), James Mason en méchant machiavélique et Eva Marie Saint en blonde séduisante.
Roger O. Thornhill, publicitaire de Madison Avenue, vit très richement à New York entre ses deux ex-épouses et sa mère, dont il dépend encore beaucoup. Il se retrouve mêlé, bien malgré lui, à une sombre histoire d’espionnage impliquant un certain George Kaplan, et les choses se compliquent terriblement pour le pauvre homme.
Le film, ou d’ailleurs, le roman, d’espionnage est un genre souvent traité de deux façons différentes. L’approche réaliste, notamment popularisée par Tom Clancy, retranscrit le quotidien terriblement ennuyeux de la plupart des agents secrets : de petits fonctionnaires en costume gris qui passent leurs journées à analyser des rapports. L’approche romanesque – nettement plus vivante – fait des espions des icônes glamour à la James Bond, et des agences comme la CIA d’omnipotentes entités tentaculaires aux mille conspirations. Dites-vous bien que si la CIA était si efficace qu’on aime à la fantasmer, elle n’aurait pas manqué toutes ses tentatives d’assassinat de Fidel Castro…
Quelques années avant Terence Young, Alfred Hitchcock entraîne son spectateur dans une chasse haletante où les complots sont légion et où l’on affronte la mort au quotidien. Le personnage principal passe son temps en costume et séduit de jolies femmes. Seule entorse à la recette bien rodée de Ian Fleming : point de Martini ; chez Hitchcock, le Bourbon est roi.
L’idée de base du film est classique, mais a fait ses preuves : il s’agit de mettre un personnage qui n’a, à priori, rien à voir avec un aventurier casse-cou, dans des situations toujours plus extravagantes et dangereuses. Pour entrer dans un registre plus dramatique encore, le cinéaste fait de son protagoniste un héros malgré lui : Roger Thornhill est ce "wrong man", accusé à tort, pourchassé pour des actes qu’il n’a pas commis. Ce postulat initial repose sur plusieurs éléments ; de la construction du personnage à la performance de l’acteur. Le contraste entre le personnage, son background, ses habitudes, ses compétences, et les situations qu’il va rencontrer, doit être important. Le publicitaire en costume gris apparaît alors comme une excellente approche : on l’imagine insipide au possible, et très peu enclin à introduire un grain de folie dans son existence bien réglée. Le choix de Cary Grant pour interpréter ce personnage tord toutefois le cou à cette idée ; un bonhomme joué par Grant ne risque guère d’être ennuyeux !
Il s’agit probablement de l’un des films d’Hitchcock les plus inventifs. Les scènes d’anthologie se succèdent à un rythme très rapide ; il n’y a jamais un sentiment de redite et pas un moment d’ennui. Le film exploite particulièrement la thématique du voyage – ou bien simplement, du moyen de transportation –, Cary Grant passant en effet son temps en mouvement. Voyage en train de nuit ou en jet privé. Escapades en voiture, voire avec une bonne dose d’alcool dans le sang pour les plus aventureux. Charmantes promenades bucoliques en bus Greyhound, survol des cultures en petit avion, rien ne manque. Pour les plus téméraires, les capacités physiques des personnages seront même mises à contribution lors d’une charmante séquence d’escalade sur paroi mi-naturelle, mi-artificielle. Cette fuite perpétuelle pourrait donner le vertige, mais Hitchcock sait heureusement intercaler des séquences plus calmes et statiques afin de donner à souffler.
Le succès de « La Mort aux trousses » repose également sur l’impressionnant casting qu’il réunit. À 55 ans, dans le rôle principal, Cary Grant virevolte comme jamais, et le charme opère tout autant que dans ses jeunes années… il faut dire que même dans « Charade » encore quatre ans plus tard, Grant sera encore parfait. Certains acteurs vieillissent mieux que d’autres !
Eva Marie Saint joue une blonde hitchcockienne très loin d’être inoubliable, mais dont le minois charmant et la voix suave font merveille – en particulier lors des scènes de dialogue jubilatoires du wagon restaurant. Enfin, dans le rôle du méchant, James Mason s’impose une nouvelle fois comme l’un des types au charisme le plus impressionnant, tout en nonchalance blasée, de sa génération.
« La Mort aux trousses » n’est pas loin de constituer le film de divertissement ultime. Malgré sa longueur imposante, c’est un concentré d’énergie et d’humour, mâtiné d’un soupçon de mystère qui tient son spectateur en haleine jusqu’au bout. La photographie est somptueuse, chaque scène est un tableau dont on cherche avec malice les détails, chaque séquence est une merveille d’inventivité. Ajoutez à cela des acteurs au sommet de leur art, et vous obtenez, sans surprise, l’un des plus grands films du maître.