Incrédule j’ai été quand il y a quelques mois j’ai entendu parler de ce projet… Filmer les derniers jours du plus grand monarque français, n’était-ce pas un peu glauque ? En sachant que sa fin de règne et donc de sa vie était à l’image des lustres (perdus) du Versailles d’alors, ternie, mystique et douloureuse.
Quant à Jean-Pierre Léaud dans le rôle titre… plus dubitatif encore j’étais. Antoine, Paul, Claude, Alphonse, Alexandre, Marcel, Hugo, Jacques… oui, oui oui, mais Louis ! Louis quoi ! Surtout le 14ème … gros doute ! Rien que pour ces deux raisons, bien plus qu’une Palme d’Or d’honneur (au demeurant largement méritée) ou d’une presse qui cultive le dithyrambe un peu trop à mauvais escient ces derniers temps, j’attendais férocement ce film prêt à dégainer (je ne trahis pas ma réputation ! dédicace à Anne Schneider au passage ) à torpiller… à invectiver… Comme le veut l’adage plein de sagesse… tel est pris qui croyait prendre ! Plus belle sera la révérence !
Ce film relève tout simplement du miracle ! Le miracle du cinématographe ! Le terme n’est pas pompeux mais se rapproche de la réalité. Car Albert Serra, rejoint ici les pionniers qui ont transformé au tout début l’attraction de quelques images animées en un véritable art, pérenne, qui a survécu à tous les assauts technologiques. Comme eux, il filme l’essentiel, l’incontournable. Avec très peu de moyens, mais un vrai sens de la dramaturgie et du cadre, il nous offre un film, non un très grand film. Bien sur, les esprits chagrins trouveront à redire… les dialogues, les décors, les accessoires… sont un peu pauvres. Mais je préfère deux rangs de perles fausses d’une courtisane à une perruque délavée d’une Kate Winslet mal fagotée dans « Les jardins du roi » !
Car ce qui domine ici, c’est l’esprit ! La réflexion que porte Serra à la mort est saisissante ! Celle d’un monarque si adulé, choyé, jalousé mais qui au final ne peut être soulagé de ses douleurs (physiques et spirituelles). Lui, le roi soleil qui n’a de cesse de se rendre compte sur les dernières heures qu’il est mortel et seul de surcroit. Il faut saluer dans ce sens l’extraordinaire travail scénaristique, avec ce séquençage cru mais jamais morbide. Il nous livre aussi une vision du combat pré mortem, où le corps meurtri résiste pour rogner encore quelques heures. Le message est clair, que tu sois riche ou miséreux, l’aboutissement est le même.
Bien évidemment cette réflexion n’a pas une portée originale, simplement, elle met en scène une évidence avec beaucoup de raffinement et de subtilité. Le choix, d’une lumière et des positionnements identiques à celle des peintres contemporains de Louis XIV renforce admirablement l’ambiance de ces moments de rédemption, d’isolement, d’apaisement. Des ocres d’un Lebrun, au vermillon d’un Quentin Latour ou d’un Vouet, jusqu’au Roi mort qui rappelle la position du christ d’un De Champaigne, les images nous sautent aux yeux comme des toiles. Elles saisissent les moments présents, prennent la vie sur le fait et la mort sur le tard.
Quant à Jean-Pierre Léaud… Que dire… il est royal ! Tel son personnage, très jeune il a été projeté sous la lumière, il partage avec lui le même nombre d’année de présence sur la scène… mais surtout, surtout… il réussit encore à nous surprendre, et plus essentiel, à nous convaincre ! Il est ni tout à fait lui-même, ni tout à fait ce roi, il est le monarque qui se meurt et pour lequel on ne peut s’empêcher de verser une larme sur son dernier souffle. Il est ! Et ça… c’est inouï !