Dans cette Suite de Sugata Sanshirô, Kurosawa commence à sérieusement fonder son style dans les plans de lumière : un contraste expressionniste entre peau et fond, des visages très blancs, presque surex'. Avec un œil moderne on pourrait être tenté de lui reprocher un emploi trop zélé et scolaire des angles Rembrandt, mais c'était dans l'ère du temps et il faut bien admettre que... ça marche. Jean Cocteau nous offrira la Belle et la Bête un an plus tard, avec une photographie très similaire d'Henri Alekan : chirurgicale, centrée sur les visages, imposant une direction d'acteurs précise et éprouvante, mais dont le noir et blanc sublime qui en résulte est un des joyaux visuels qui me manquent le plus de cette époque.


Et plus à-part dans le style du film, je citerai le duel en contre-jour dans la neige, quasi-expérimental, rythmé par les cris de folie des deux frères. Ça m'a causé.


Sur le fond, cette suite n'est pas qu'une simple surenchère. Sugata dépasse sa quête initiatique de jeune élève, il devient maître en transcendant la surface des règles. La force et la bienveillance forment en lui un conflit inextricable, jusqu'à ce qu'il comprenne enfin que les deux résonnent harmonie. Ainsi il vaincra les frères Higaki, l'un de ses mains, l'autre de son humanité. C'est un motif, une dualité, qu'on retrouvera tout au long de l'œuvre du cinéaste : de Barberousse à Dersou Ouzala, l'Homme trouvera l'équilibre entre sa puissance et son amour.


Un faux pas philosophique sur lequel j'aimerais débattre avec Akira, c'est sa tendance dans ce film à jeter une discipline toute entière avec l'eau du bain. La boxe prend une balle perdue dans la critique de la société du spectacle américaine. « La boxe n'est pas un art martial » m'a semblé gratuit, dans son amertume anti-américaine Kurosawa-san rafale un peu large, c'est peut-être le premier manque de sagesse que je trouve dans son cinéma. Et le karaté, pour une raison que j'ignore, n'est pas épargné non plus. Est-ce que c'est une question de parti pris pour les voies défensives face aux voies agressives ? Peut-être. J'aimerais bien en discuter avec le bonhomme, diable !

Scolopendre
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le 2 avr. 2022

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