Régulièrement, la sortie d’un film de genre français s’adressant à un très large public (excluant d’office Mandico, Gonzalez, Cattet et Forzani de la compétition) est l’occasion de ressasser les mêmes sempiternels débats autour de notre légitimité à nous aventurer vers l’horreur ou le fantastique. Après Grave, Dans la brume ou Ghostland, le challenger de cette année n’est autre que La Nuée de Just Philippot, gonflé par une belle campagne marketing invoquant de nombreux influenceurs enthousiastes. Présenté à Gérardmer, le film est l’un des grands gagnants de cette 28ème édition puisqu’il repart avec le prix de la critique et le prix du public.
Bien que La Nuée s’adresse à tout le monde, on ne peut reprocher au film une absence de parti-pris fort. Si le choix du milieu agricole est propice à l’horreur (au milieu de ces champs, personne ne vous entendra crier), le scénario et la réalisation sont clairement dans le registre du réalisme. Just Philippot fait tout pour que le spectateur ressente le travail de sa protagoniste en la filmant porter de lourdes caisses, chatter en ligne avec d’autres agriculteurs ou s’énerver face au manque de respect de ses acheteurs. La caméra portée est le plus souvent à hauteur des personnages, pour que l’on vive les évènements de leur point de vue. Certaines difficultés du monde agricole passent discrètement par les dialogues, comme la question du racisme ou de la dépendance à un client unique, ce qui permet d’élargir le sujet et d’offrir un panorama plus vaste du métier d’agriculteur. L’aspect éminemment social de La Nuée se ressent également dans sa dimension horrifique, puisque les sauterelles sont une métaphore directe de la production : elles ont besoin du sang de la protagoniste pour être rentables, la plongeant dans un cercle vicieux où elle est obligée de sacrifier sa santé pour gagner sa vie.
L’écriture des héros du film est également le fruit d’un travail de réalisme. Laura, la fille de Virginie, est sans doute le personnage le plus réussi car elle évite soigneusement le cliché de l’adolescente boudeuse vue par le prisme idéalisé des parents : son amour pour sa famille est discret et elle ne se laisse pas facilement amadouer par sa mère dont elle a honte. La performance de Marie Narbonne est à saluer, et on retrouvera avec plaisir sa fraîcheur et son sens de la mesure dans de futurs films.
Indéniablement, les partis-pris esthétiques de La Nuée fonctionnent : le film prend le temps de s’ancrer dans le réel, et on s’attache facilement à ces personnages bien interprétés. Cependant, une question reste en tête : n’était-ce pas un pari gagné d’avance ? L’horreur à base d'insectes laisse souvent place aux mêmes plans (sur ce point, Mosquito State était bien plus créatif), le film sort assez peu de son réalisme quasi-permanent, et sa structure classique n’est jamais inquiétée. L’incendie de fin est sans doute la scène la plus marquante du film avec cette mise en scène nerveuse et ce déchaînement des passions, mais il est suivi par une conclusion assez lambda dans un lieu plus commun. Si La Nuée est un premier long-métrage réussi, on attend impatiemment de retrouver Just Philippot pour son deuxième, d’ores et déjà soutenu par le CNC à hauteur de 500 000 €. Le synopsis laisse entrevoir les débuts d’un auteur, avec l’importance de la famille, la grande question des enjeux de demain, et un synopsis de film catastrophe. Just Philippot a su nous prouver son efficacité ; les années à venir lui permettront de nous convaincre de son importance.
Site d'origine : Ciné-vrai