La sortie de La Nuée était auréolée d'une réputation très flatteuse. Un pote qui bosse dans la production me prévenant même qu'on "allait voir ce qu'on allait voir" - phrase qui j'en conviens n'a pas le moindre sens, enfin disons qu'elle n'a pas plus de sens que peut en avoir une analyse bégayante de Roland Courbis à la mi-temps d'un Nice-Montpellier ou qu'une considération de Christophe Barbier sur la fatuité des politiques actuels.
Il voulait dire en gros que ce n'était pas un film français "chiant" ou "intimiste" comme notre industrie en a le triste secret de fabrication depuis des temps immémoriaux. Non non, c'est un truc qui fait flipper. Mieux, un film de monstres, avec du sang et tout.
Ah ce stade, vous aurez compris qu'il serait compliqué de voir poindre une quelconque forme d'excitation, étant donné l'état de notre cinéma. Cela se saurait s'il avait accouché d'un Cronenberg poitevin ou d'un Carpenter provençal. Depuis Franju et Clouzot, on a pas vraiment entretenu un savoir-faire en la matière, et les rares efforts dans le genre semblent au choix, se repartir entre la section nanar des cinémathèques et le cinéma de genre maladroit (Sheitan). Le résultat n'effraie pas, et aurait même tendance à concurrencer les classiques du rire français.
Mais La nuée n'est pas un nanar assumé, et il n'est pas non plus le résultat d'une longue digestion des maîtres du cinéma US du genre. Il résulte d'une opportunité, et fait suite au succès du film Grave de J. Ducournau, qui a excité le CNC au point d'en faire une commande. Comprenez en gros : filmer une histoire surnaturelle à la façon d'un film d'auteur, afin de donner une impression d'exigence, histoire de dire "attention, c'est un scénario de film d'horreur improbable et même un peu con, mais on va en faire une oeuvre d'art respectable", il en résulte un film long, chiant, entrecoupé de scène de crises familiales plus ou moins justes, et dispensables pour la plupart.
Mais venons-en à l'histoire, on va évacuer ça rapido : Une mère célibataire entreprend l'élevage et le commerce de sauterelles comestibles. Son entreprise est difficile et elle ne parvient pas faire grossir son cheptel de bestioles suffisamment pour lui permettre d'offrir une vie confortable à ses enfants. Un jour, par un accident assez improbable, elle saigne et perd connaissance dans une tente où elle élève ses insectes. A son réveil, elle constate qu'ils se sont goinfrés comme des morfalous de son hémoglobine et qu'ils ont tous pris du poids comme après un retour de vacances en Toscane. Partant de cette découverte historique : Les sauterelles se nourrissent de cruor, et elle se procure donc des stocks de sang de bœuf pour faire prospérer tout ce petit monde. Et ça va évidemment déraper. Mais pas tout de suite, on aura le temps avant ça d'assister aux scènes de repas qui constituent des thérapies familiales dignes de Tellement vrai sur NRJ 12.
Faire flipper au ciné avec des animaux sanguinaires c'est vieux comme le monde. Cela existait avant les Oiseaux d'Hitchcock mais le gros Alfred a tellement bien réussi son coup qu'il a, à la fois transcendé le genre et tué toute descendance crédible après 63. Tous les films genre "la nuit des chauve souris ou remplace l'animal de ton choix" sont des séries B, grotesques ou drôles et ont fait le bonheur de Roger Corman. Un peu comme Spielberg avec les dents de la mer, qui engendré malgré lui la sharksploitation.
Nuésible.
Là c'est clairement une idée farfelue, les sauterelles de base qui se transforment en tueuses / suceuses de sang, on sait que c'est biologiquement pas trop possible, et aucun cadre sérieux par ailleurs ne pourra le faire oublier. Or le réalisateur éprouve les pires difficultés à instiller la peur avec ces insectes complètement amorphes. Il est donc obligé de les filmer en gros plan, façon Microcosmos et de faire des plans avec de la sauce tomate sur les antennes. Perso j'ai trouvé ça drôle, limite mignon et surtout ridicule. Il ne fera flipper que les gens qui n'aiment pas les insectes et qui font des crises de panique en été devant les cousins pris au piège entre le rideau et la fenêtre du salon.
C'est presque plus gênant que dans un film de la Troma, où la débilité est assumée. Car au moins dans un film US de base, ils proposent une explication sur le pourquoi du phénomène mutant (en général c'est la mutation à cause du nucléaire, même The Host se vautre dans cette facilité). Mais là, il n'y en a pas. Il n'a pas été jugé utile d'en proposer, puisqu'on a communiqué au spectateur le fait qu'il assistait à un film de monstre, CQFD. Et étant donné que c'est surtout un film d'auteur, on a besoin de te rabâcher les soucis relationnels entre la mère et la fille. Cela cher spectateur, tu ne pourras pas y échapper. Avec une lumière chiadée, métallisée bleue, quelques plans élaborés, pour te faire oublier un scénario nanar à peine assumé. Mais ça ne colle pas. Ca ressemble au même postulat que Grave, qui avait aussi ses défauts mais qui passait mieux.
Le problème majeur de la Nuée, c'est qu'il se prend au sérieux, alors que l'idée de base est "légère". Alors, je sais bien qu'on va parler d'une lecture politique vegan possible derrière ("la nature qui se retourne dans les carnistes etc..."), perso j'ai toujours pas compris pourquoi la nana continuait à s'ouvrir les veines pour nourrir les grillons alors que le sang de bœuf faisait l'affaire. Tout ça pour traduire lourdement la détresse psychologique du personnage principal, et dire qu'elle se saigne aux 4 veines ? Give me a break.
Grave est bourré de défauts et les personnages sont certainement pires dans l'écriture mais j'ai préféré malgré tout, car le film était bien plus imprévisible. Alors qu'avec La nuée, on voit globalement tout arriver à des kilomètres (les rapports avec la fille qui vont dégénérer, l'histoire d'amour story avec le fermier sera contrariée, les grillons de plus en plus menaçants, l'état mental de la mère va empirer...). Le fermier qui n'articule pas quand il joue est un personnage fonction, et sa fin dans la maison est un autre moment involontairement comique (du moins j'ai trouvé).
Les oiseaux, c'était très fort à l'époque, mais le concept ne peut pas durer au-delà de ce film. Alors 60 ans après, par des mecs de la Femis... J'ai vu des épisodes de série mieux foutus que ça (de mémoire un truc avec des fourmis extraterrestres, dans l'anthologie au delà du réel).
Tout ça pour dire qu'on avait un deal avec les réalisateurs français. Ils devaient se contenter de saloper les films d'auteurs, et laisser les américains faire du fantastique. Je constate non sans peine que le pacte a été rompu.