« La nuit de l’iguane » est un film de 1964 réalisé par John Huston sur la base d’une pièce de Tennessee Williams. Cette adaptation jouit apparemment d’une renommée bien moins grande que ses illustres consœurs que sont « La Chatte sur un toit brûlant » ou « Un Tramway nommé désir », et c’est d’ailleurs regrettable, car le film n’a rien à leur envier !
Le métrage s’ouvre le sermon dominical habituel du révérend T. Lawrence Shannon, sermon qui vire à la catastrophe lorsque le pasteur, comme possédé, s’en prend verbalement – et vertement – à ses ouailles qu’il terrifie et chasse hors de l’église.
Deux ans plus tard, nous retrouvons ce bon Shannon, alcoolique, sale et hagard, qui officie comme guide pour une compagnie vaguement religieuse minable de tours touristiques du Mexique. Son groupe est exclusivement constitué de femmes d’un certain âge – voire d’un âge certain – hormis une hardie jeune demoiselle et son chaperon, une femme aussi sèche et frustrée que sa protégée est jolie et entreprenante. Après quelques péripéties, cette joyeuse bande fait halte à l’hôtel de la veuve Maxine Faulk où se rendent aussi un poète presque centenaire et sa petite fille, portraitiste de son état.
Du fait de son inspiration théâtrale, le film se déroule majoritairement à quasi huis-clos, et laisse la part belle aux dialogues. L’on assistera donc parfois à de grands monologues, un peu figés – qui pourront, très clairement, lasser ceux qui n’aiment pas ce genre de procédé. Heureusement, le film est suffisamment riche et varié pour que cela ne soit pas un problème.
Le film se divise en deux grandes parties. Dans un premier temps, Huston plante le décor et présente les personnages, donnant une importance prépondérante à celui de Richard Burton. Le ton est léger et les enjeux sont presqu’aussi superficiels : l’on assiste à une lutte de pouvoir absurde et ridicule entre le prêtre défroqué et la mégère bigote, arbitrée par une nymphette qui se joue de l’une et s’amuse avec l’autre. Cette comédie de mœurs et de situations est dominée par un Richard Burton exceptionnel. Elle donne lieu à son lot de dialogues incisifs et de grandes scènes, alors que le ton monte et que le récit gagne en gravité. Finalement, après un dénouement paroxystique, les esprits se calment et la comédie s’estompe, laissant place à une séquence plus introspective où l’on questionne l’humain, et en particulier son rapport aux autres et sa solitude.
Ce sont trois personnages, le révérend Shannon, la tenancière Maxine et la voyageuse Hannah qui incarnent autant de points de vue différents sur la question, du fait de leurs expériences et de leurs choix de vie.
Vivre heureux consisterait alors à entretenir un savant équilibre entre le besoin physique et l’enrichissement spirituel de la relation de l’homme à son prochain. À cet égard, Maxine et Hannah représentent deux opposés. La première comble le manque affectif ressenti suite à la disparition de son époux par des relations purement charnelles. La seconde, quant à elle, y a renoncé, se satisfaisant des voyages qu’elle entreprend avec son grand-père, de la poésie de ce dernier, et des rencontres qu’elle fait sur la route. Les deux femmes s’opposent (en tous points, la blanche et chaste Hannah tranchant avec la torride et sombre Maxine), traitant leur solitude de manière opposée – et nulle ne semblant parfaitement heureuse. Shannon constitue une sorte d’intermédiaire, porté sur la spiritualité (son rapport conflictuel à Dieu) mais, sans savoir – ni vouloir – réprimer son désir physique, auquel il succombe par trop souvent.
L’enjeu de la discussion et les doutes de Shannon sont au cœur du récit, et se font l’écho du spectateur qui peut alors choisir son camp. La réflexion proposée est intelligente, soutenue par des dialogues et des histoires passionnants, et ne cherche pas à trancher. L’alternative d’Hannah semble privilégiée par le réalisateur, mais n’est-elle pas finalement le personnage qui perd le plus au cours de la confrontation ?
En dehors de toute cette dimension d’intériorisation, le film de Huston est un petit chef d’œuvre d’ambiance et d’interprétation. Si les plus farouches opposants à la structure théâtrale – de longs monologues, un artifice cinématographique pas toujours passionnant – pourront y trouver à redire, le reste touche au sublime. L’ambiance chaude et sale de cet hôtel sur les falaises du golfe du Mexique, la présence charnelle et terrestre d’Ava Gardner, la détresse si humaine et touchante de Richard Burton et la beauté douce et éthérée de Deborah Kerr, filmées avec tendresse et bienveillance par John Huston, font de « La nuit de l’iguane » un vrai bijou de cinéma.