À l'épigraphe initial cité de Vian, l'ennemi juré de Jean-Sol Partre, il faut déjà se faire une raison: ce Burma est un Burma comme philosophique, qui va porter un dur trait aux adorateurs de l'existentialisme sartrien comme l'a fait en son temps et avec plus de brio et de fantaisie l'auteur de L'Écume des jours.
La Nuit de Saint-Germain-des-Prés est donc un polar noir lent et sourd, un film d'ambiance et de dialogues surtout dont l'ombre portée sur la toile est celle d'un regard cynique sur la jeunesse dorée, insouciante et pseudo-artiste de Saint-Germain-des-Prés, gavée d'une philosophie qu'elle ne comprend guère, attirée par une poésie vague qui se rit du Lac de Lamartine, une jeunesse de fils à papa et de sangsues vivant aux crochets de nobles snobs et solitaire en manque de leur propre jeunesse. Et la fin, avec sa théorie effleurée à peine du surhomme nietzschéen semblera à d'aucuns tissée avec les fils délavés de La Corde d'Alfred Hitchcock.
Un film d'ambiance donc, qui restitue à la perfection la simplicité du réel, qui donne à voir comme surprise une réalité un quotidien au Café de Flore et aux lieux qui gravitent quelque part autour de ce trou noir philosophique. L'ambiance des cafés est celle que l'on observe dans le vieux Paris et de l'autre côté de l'écran. Le son, parfois à peine perceptible, est comme celui que capterait un amateur. Seulement comme, tout juste ce qu'il faut pour donner l'illusion du réel, sans exagération ni déformation comique ou romanesquement sombre.
C'est beau, n'était que ça n'est pas toujours assumé. Le temps d'une petite scène de drague délurée d'une vieille belge par le jeune Rémy en manque de mère ou le temps d'une lutte finale qui y aurait gagner à une photographie autre, à un surgissement épique, ce réel banal et quotidien cherche à s'estomper. Mais il est là, qui toujours repousse la fantaisie. Et c'est là que bât comme le bas blessent.
Un film de dialogue aussi et surtout.
Des dialogues inspirants, parfois à la lisière des plates bandes d'Audiard, quoique toujours bien sages. Ce sont eux qui portent le film et leur absence crée l'inertie.
Petit florilège, lâche, pour s'en convaincre:
Comte de Saint-Germain: Je suis le Comte Germain de Saint-Germain !
Nestor Burma: Ce n'est pas un nom, ça: c'est un pléonasme !
Nestor Burma: Je ne me savais pas si drôle !
Rémy: Qui se connaît ?
Nestor Burma: On peut aimer quelqu'un très fort. Mais mal.
Adjoint du commissaire: On s'est gourés pour la décapitée de Poitiers: elle est vivante !
Commissaire: Tant mieux pour elle !
Concierge-Capitaine: Depuis que je suis en cale sèche, j'ai viré de bord !
Taxi (surnom d'une jeune femme): Écoutez ! J'aime le bruit de la pluie sur les vitres !
Nestor Burma: Comme tout le monde !
Taxi: Comme tout le monde ? Est-ce que je suis comme tout le monde ?
Concierge-Capitaine: Dis donc, Pacha ... tu s'rais pas un peu poulet par hasard ?
Nestor Burma: Un peu. Par hasard.
Comte de Saint-Germain: Des lettristes ! Ils me méprisent mais ils aiment mon alcool. Il n'y a plus de mémoire, il n'y a plus de jeunesse !
C'est un film où l'on parle la langue des hommes, celle du silence, celle du saxophone, celle plus discrète et dissimulée des larmes.
Un film de personnages, porté par un casting peu commun.
De l'exubérant vrai concierge et faux marin campé avec sourire par Jean Rougerie (Lacombe Lucien, Dangereusement vôtre) au Comte laxiste et en proie à la peur du vide existentiel très justement joué par Mort Shuman, en passant par un jeune homo caricatural sauce Jean-Paul Muel (Les Visteurs, Papy fait de la Résistance).
À déplorer, une Hélène jouée juste mais par une actrice en contre-emploi loin des Jane Birkin, des Sophie Broustal, des Natacha Lindinger ou des Jeanne Savary, et une absence totale de Faroux, remplacé par un autre commissaire, plus mouillé dans l'enquête du jour.
Le duo principal oppose Michel Galabru et Daniel Auteuil dans un registre bien plus sombre que celui de leur future collaboration pour Les Sous-doués passent le bac. Pourtant, cela fonctionne. Le second joue un jeune homme perturbé, en quête de reconnaissance, nourri d'une philosophie de bazar et nourrissant un profil intérieur bien néfaste, avec brio. Le premier, Michel Galabru, s'il est un choix pour le moins étrange pour interpréter le célèbre limier de Léo Malet, dont c'est la première incarnation sur écran, correspond assez à la représentation qu'en fera quelques années plus tard Jacques Tardi. Un Nestor sombre mais modeste, assez affligeant de banalité mais capable d'une certaine obstination voire une certaine rage contenue. Le comique sur sa situation d'éternel endetté est traité de manière convenable mais certes peu transcendante: on est loin du génie de la série avec Guy Marchand et de celui de sa vedette mais on s'y trouve plus à l'aise que face au un poil nanardesque délire avec Michel Serrault. Une belle synthèse des deux autres incarnations, à défaut de pouvoir se voir qualifiée de parfaite.
En somme, quoi ?
Un extrait de jeunesse du café de Flore, l'ombre de Sartre tamisée. Une enquête assez simple mais une ambiance complexe. Un Nestor mesuré. Un film bon qui eût pu avec plus de courage et de créativité s'avérer un bon film.