Source : http://shin.over-blog.org/la-nuit-des-morts-vivants.html
George A. Romero et ses amis d'université ont toujours souhaité réaliser un long-métrage, mais les démarches auprès des financiers n'ont jamais pu aboutir. C'est ainsi qu'ils décident de fonder ensemble leur propre société de production : Image Ten Productions. Prélevant sur leurs propres deniers, le groupe d'amis s'engage donc à donner six cents dollars chacun comme mise de départ. Le capital obtenu leur permettra alors de débuter le tournage d'une future révolution cinématographique : La Nuit des morts-vivants. À la base, Romero n'était pas particulièrement amateur de films d'horreur. Mais, comme il désirait rentabiliser au plus vite les capitaux investis avec ses amis, le groupe a laissé tomber leur idée de départ (il était question de mettre en scène un film dans la pure tradition dramatique) pour se lancer dans un genre plus lucratif : l'horreur. C'est dans cette optique que Romero s'est donc attelé à son projet un peu fou. Il ne s'est d'ailleurs jamais caché, et c'est tout à son honneur, s'être largement inspiré du classique de Richard Matheson, Je suis une Légende, pour élaborer son histoire. Pour ceux qui l'ignoreraient encore, le roman raconte l'histoire de l'unique survivant sur terre après qu'une terrible pandémie ait transformé tous les humains en vampires. De fait, et compte tenu la filiation indirecte entre les deux œuvres, j'ai pour ma part toujours considéré le film de Romero comme une sorte de préquelle alternative au livre de Matheson (impression que confirme le cinéaste dans un extrait d'interview disponible sur le blog de Gilles Penso). Le monde dépeint dans La Nuit des morts-vivants ne tardera effectivement pas à sombrer progressivement dans le chaos comme on le verra tout au long de la saga, de Zombie / Dawn of the Dead au Jour des Morts et jusqu'à Land of the Dead. Jusqu'ici tout va bien ? Pas vraiment...
En effet, contraint de tourner dans un nombre de lieux restreints, et souvent à huis clos, Romero va brillamment tirer partie de cette contrainte budgétaire (le film coûtera au final un peu plus de 100 000 $ ; autant dire une broutille) pour nous offrir un véritable chef-d'œuvre de terreur pure où l'angoisse est permanente. Et ça commence dès les premières images avec cette voiture qui circule sur une route déserte, se dirigeant vers un cimetière. Il convient alors de s'efforcer de replacer le film dans son contexte. À l'époque, l'image du zombie qu'a imposé Romero par la suite est totalement inédite (il ne s'agit plus alors d'évoquer un quelconque culte vaudou, et leur apparence est encore plus effrayante). Nos deux protagonistes se trouvent donc dans un cimetière et l'un deux, Johnny, embête sa sœur en lui susurrant d'une voix caverneuse « They're coming to get you, Barbara... » (une phrase qui résonnera dans mon esprit bien longtemps après avoir vu le film). Un type à la démarche étrange, et plutôt inquiétante, se dirige lentement en direction du couple. Barbara s'approche de l'homme pour s'excuser de l'attitude de son frère, qui se moquait de lui quelques secondes avant. Il tentera alors soudainement de la mordre avant de s'en prendre à Johnny. C'est notre première "rencontre" avec un zombie. L'entrée en matière est proprement géniale. Directe, efficace et sans fioriture. Barbara trouvera refuge dans une maison abandonnée où elle fera connaissance de Ben et de quelques autres rescapés. Ils vont tous vivre une nuit de cauchemar absolue...
Quand il n'y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre...
Commence alors un huis clos filmé à la manière d'un documentaire, avec très peu d'effets (si ce n'est une bande originale dans la grande tradition des films d'horreur, bruyante mais efficace). Cette sobriété est en grande partie dû à la pauvreté relative du budget du film, que Romero a su utiliser à son avantage – ainsi a-t-il réécrit une partie du script lorsque les circonstances l'exigeaient (comme le jour où la mère de Russel Streiner eu un accident avec la voiture utilisée pour la séquence du cimetière et que le réalisateur eu l'idée de l'exploiter ; la voiture venant alors s'écraser contre un arbre dans le film). Surtout, le noir et blanc, le cadrage serré, la caméra portée à l'épaule, le son pris sur le vif et l'absence d'effets de mise en scène majeurs ou d'effets visuels exagérés (si ce n'est le final volontairement burlesque et grand-guignolesque) vont contribuer à l'impression de réalisme du film et renforcer la force percutante de son sujet. Malgré l'invraisemblance des évènements, on est totalement immergé dans le film. De surcroît, en s'intéressant plus à la psychologie des personnages et à leurs comportements sociaux qu'à l'horreur classique (faut-il rappeler l'ambition initiale de réaliser un drame à dimension humaine ?), Romero obtient un résultat bien plus crédible et une réflexion finement menée sur la nature humaine, lorsqu'elle est poussée dans ses plus extrêmes retranchements. Au lieu de s'allier pour faire front face à la menace zombie, les survivants vont se livrer une guerre intestine stérile qui causera leur perte. L'ironie du sort est alors doublement cruelle.
D'une part, les altercations incessantes entre les fortes têtes (Ben et Harry) et les actes irréfléchis des occupants de la maison (qu'il s'agisse de la tentative d'évasion hasardeuse ou de la minorisation de la menace les entourant) seront bien plus lourdes de conséquences que l'invasion zombie à proprement parlé (dans les films de Romero, l'issue funèbre est toujours dû à la bêtise de l'homme, l'assaut des morts-vivants n'étant que la sanction que le destin lui inflige). Prisonniers d'un espace étriqué à l'atmosphère oppressante, ils parviendront à s'isoler un temps de la menace extérieure, mais ne pourront rien faire contre celle qui surgira de l'intérieur. D'autre part, il s’avérera que la voix de la sagesse faisait erreur quant aux choix à prendre. Celui qui, depuis le début, s'était imposé comme le meneur courageux et apparaissait comme la dernière planche de salut pour les autres aura finalement tort ; alors que l'égoïste froussard avait vu juste. La raison de l'homme, son intelligence, semblent donc complètement impuissantes face à sa bêtise et sa vanité. Quoi qu'il fasse, les zombies et leurs instincts primaires auront toujours le dernier mot. Tant qu'il y a des hommes pour (se faire) mourir, il y aura des morts-vivants.
« Approche maman, j'ai une surprise pour toi...»
Assurément politiquement incorrect, La Nuit des morts-vivants est également un film à la puissance subversive incontestable. Les enfants ne seront donc pas épargnés, la famille américaine traditionnelle sera présentée comme un vieux mythe poussiéreux se dévorant de l'intérieur (au propre, comme au figuré) et le cannibalisme (ou plutôt l'anthropophagie, les morts ne s'en prenant qu'aux vivants) totalement explicite. On y verra même une morte-vivante intégralement nue. Il serait quasi-impossible de produire un tel film de nos jours, et encore plus de le distribuer sur les circuits traditionnels. En outre, George A. Romero fait preuve d'un engagement politique évident en choisissant un acteur black pour incarner le héros de son film, même si celui-ci s'en défend. S'il a choisi le charismatique Duane Jones, c'est avant toute chose pour son talent clame-t-il. "C'était le meilleur acteur d'entre nous" ; la plupart des personnages étant joués par des amateurs, de simples habitants de Pittsburgh, (ville où le tournage a eu lieu), amis ou clients de la maison de production (Russell Streiner et Karl Hardman, eux-mêmes producteurs du film, interpréteront d'ailleurs respectivement les rôles de Johnny et Harry). Cette différence de jeu est d'ailleurs assez palpable dans le long métrage, Duane Jones étant visiblement plus à l'aise que ses confrères à l'écran. De plus, le héros initialement imaginé par Romero était caucasien et, fait particulièrement appréciable, il n'est jamais fait référence à la couleur de peau de l'acteur durant le film.
Pourtant, même si ce n'est pas intentionnel de la part du cinéaste, placer un acteur noir comme héros positif d'un film, alors que l'Amérique est toujours touchée par la ségrégation raciale (nous sommes dans les années 1960) et que le Mouvement des droits civiques (porté par Martin Luther King, Malcolm X ou encore Stokely Carmichael) est plus important que jamais, est le signe d'un engagement manifeste. L'assassinat de Martin Luther King, peu de temps avant la sortie du film, ne faisant qu'amplifier cette impression. D'ailleurs, il est intéressant de noter que Romero continuera à mettre en avant les personnages blacks dans les autres films de la saga (Peter dans Zombie, dans une moindre mesure John le pilote avec Le Jour des mort-vivants ou encore le zombie pompiste de Land of the Dead). C'est là encore certainement purement fortuit, mais je ne peux m’empêcher d'y voir plus qu'un simple hasard. Surtout, comment ne pas se convaincre définitivement de cette volonté politique après avoir vu la scène qui précède le générique (et désirée par Duane Jones lui-même) ?
Attention, je dévoile la fin du film de George A. Romero et de son remake réalisé par Tom Savini, qui est différente :
D'un nihilisme absolue, la fin du film (la plus réussie de la quadrilogie originelle selon moi) nous présente une bande de bouseux chasser le zombie de façon furieusement similaires aux pratiques qu'employaient le Ku Klux Klan pour persécuter les Noirs. Cette milice improvisée ne s'interroge pas un instant sur ce qu'elle est en train d'accomplir, ayant plutôt l'air d'apprécier les évènements dans une ambiance de franche rigolade nauséabonde. L'humanité n'est déjà plus très belle à voir (le pire reste à venir dans les autres opus de la saga), et alors que la menace zombie semble écartée (pour un temps du moins), voilà que l'injustice vient de l'homme. À l'instar du héros de Richard Matheson, Ben est pris pour ce qu'il n'est pas et est froidement abattu. Mais cette fin est loin d'être innocente. Brutale, choquante, intolérable. Surtout que nos joyeux chasseurs du dimanches ne se donnent pas un instant la peine de vérifier la nature de Ben. Pensent-ils véritablement qu'il est devenu zombie (dans ce cas-là, ils expédient son sort plutôt rapidement...) ou en profitent-ils justement pour délibérément se débarrasser d'un "négro" ; de la même manière que Barbara prétextera la mutation (fausse) de Harry pour l'éliminer dans le remake réalisé ? Je pousse peut-être un peu loin l'interprétation, mais je pense que ma théorie se tient. Les photos montrées durant le générique de clôture, qui vantent les "exploits" des exterminateurs de zombies, finissent de démontrer toute la barbarie de l'homme qui exhibe ses trophées de chasse et s'acharne sur les plus faibles ; qu'ils soient vivants (comme les minorités ethniques) ou morts (à l'instar des zombies donc)...
Bien sûr, le film est loin d'être parfait. Excepté le charismatique Duane Jones, le jeu des acteurs est parfois très approximatif. Notamment concernant l'actrice qui incarne Barbara dont le personnage manque un peu du nuances (il sera avantageusement développé dans le remake réalisé par Tom Savini quelques décennies plus tard ; même si celui-ci ne parviendra pas à égaler la puissance émotionnelle de celui-ci). De plus le côté artisanal de la mise en scène se ressent par moment, en particulier durant les scènes de lutte qui manquent de punch ; même si certaines trouvailles demeurent géniales (comme le cadavre tiré par Ben et qui donne l'illusion à Barbara qu'il est encore "vivant"). Une "erreur" s'est également glissée dans un dialogue puisque Ben mentionne le fait que 10 à 15 monstres "couraient" après un camion citerne roulant à toute vitesse près de Bertman (à moins qu'il ne s'agisse pas de morts-vivants, mais d'hommes affolés ; ironie suprême à laquelle je veux croire...). Mais compte-tenu des moyens à leur disposition, peut-on vraiment le reprocher à Romero et son équipe ? J'ai conscience des faiblesses du film et ne lui porte pas une affection aveugle. Pourtant, il m'est impossible de faire autrement que de lui donner la note maximale. Ne serait-ce que pour l'audace dont le film a su faire preuve pour malmener les conventions de l'époque et s'imposer comme le fondateur incontournable de tout un courant et d'une certaine façon de penser le cinéma de genre, et particulièrement d'horreur, autrement.