“Il y a quelque chose qui cloche entre les femmes et les hommes”. C’est par cela que le film devrait commencer, puisque c’est cela qui est en son cœur. Ces mots, prononcés par Bastien Bouillon -alias Yoann- à la fin du film résument parfaitement ce qui obsède le spectateur durant le film, et ce qui obsède le monde depuis 2016, année où se déroule l’action de La Nuit du 12.
Bien sûr, il est question d’une enquête. Clara Royer est assassinée, brûlée vive dans une petite ville des Alpes. Or, dès les premiers instants, le film nous annonce que ce mystère n’est pas élucidé, et sa résolution ne fera, par conséquent, pas partie des attentes des spectateurs. L’enquête que mènent les différents officiers de la Police Judiciaire - PJ, pour les intimes - semble plutôt viser le monde, la société dans son intégralité. Le film se pose comme un état des lieux : qu’est l’humain ? Ou plutôt, qu’est l’homme ?
Et les premiers individus ciblés par cette enquête sont les officiers eux-mêmes. Ils sont 7 chargés de l’enquête, deux sur lesquels on se penchera vraiment. Nos deux héros, Yoann et Marceau, sont de loin les plus sensibles de la bande. Chacun incarne une vision du monde, une vision du Bien et une vision de la femme. Chacun, a sa manière, est traumatisé par ce que les hommes s’infligent entre eux, ou plutôt ce qu’ils infligent aux femmes.
Car, en effet, on s’attache beaucoup au traumatisme. Être de la police judiciaire n’a rien de facile, et le film nous le fait bien comprendre. Il faut ici saluer le jeu des acteurs qui rend parfaitement compte de cette lourdeur de l’âme : les traits fatigués et la démarche lascive.
En parlant du jeu, il faut pointer du doigt sa singularité. Tout semble très théâtral, et à la fois très réaliste.
Le cadrage est toujours au service des dialogues, mettant tout en œuvre pour filmer la personne qui parle, parfois avec de jolies chorégraphies de caméra. C’est cela, en plus d’une prosodie parfois à l’orée de l’artificialité, qui donne l’effet théâtral : le dialogue est au centre de tout, au point que la caméra doive se plier à ses moindres désirs. D’ailleurs, ce “verbocentrisme” et cette théâtralité sont totalement assumés, comme le prouvent la scène où Marceau récite du Verlaine, ce qui raccroche d’emblée l’oeuvre à la littérature, ainsi que la scène où il clame - non sans une certaine hargne - que les mots sont importants. Oui, ils le sont; les dialogues en rendent merveilleusement compte.
Pour l’aspect très réaliste de ces mêmes dialogues, il faut saluer la qualité de leur écriture. Dans leur manière de se parler, on comprend aisément que les différents hommes qui peuplent l’intrigue ont un souci de communication. Sans doute un manque dû au système patriarcal qui leur a plus appris à être forts qu’à être à l’aise avec leurs émotions. Toujours est-il que tout cela sonne vrai, et que la masculinité ambiante est synonyme d’une grande maladresse que les dialogues savent cristalliser. J’aimerais également louer les interprétations de Jules Porier et Anouk Grinberg qui, bien que brèves, m’ont captivé.
Bien entendu, le centrage très important qui s’opère sur les dialogues n’empêche pas aux images d’être très belles. Dominik Moll joue de reflets et de lumières pour composer de très beaux cadres, et l’éclairage est toujours là pour souligner la photogénie des visages. Mais surtout, d’imposants plans sur les montagnes viennent rappeler que l’humain n’est, au fond, pas bien grand.
Donc, ce que j’ai surtout retenu de La Nuit du 12, c’est une leçon d’humanité. Oui, tout le monde est capable du bien. Mais tout le monde est également capable du mal, surtout dans un système déséquilibré. La violence ne devrait être le quotidien de personne, et la folie n’est jamais très loin.
Là on pourrait s’attendre à un thriller, on se retrouve plongés au cœur d’une enquête sur “un monde d’hommes”. C’est la vision d’une époque, six ans après me too, portée par une grande qualité d’écriture et caméra très sensible. C’est une leçon de vie, de société. C’est un film essentiel à tous ceux qui croient se connaître, et à toutes celles qui désirent connaître cet autre : l’homme.