La Panthère des Neiges porte mal son nom : la panthère en question est plus un mirage qu'un objectif, une destination qu'une promesse, une excuse qu'un destin.
Une excuse pour ouvrir les yeux, et, comme l'écrit Tesson et le chante Nick Cave, découvrir que "nous ne sommes pas seuls".
S'ouvrant sur une saisissante séquence de chasse au buffle par une meute de loup, le film se fait d'emblée le panorama superbe de l'étendue du vivant d'une région vibrante par sa beauté et ses échos mystiques.
On pouvait craindre que la teinte réactionnaire et plus misanthrope que poétique des derniers écrits de Tesson viennent polluer le paysage. S'il est la star du récit (on vient pour le voir et l'entendre, lui qu'on a lu dans le livre éponyme et tant d'autres précédemment), sa position autoréflexive et pleine de dérision quant à sa posture d'homme, de voyageur, de regardeur, et d'humain finalement tout aussi pressé que les autres, est un régal et apporte sa vraie légèreté et sa sympathie au film. C'est finalement plus Vincent Munier, que l'on ne connaissait pas, qui nous émeut, lui et sa philosophie simpliste, fondée sur l'attente du rien et sur le désir assouvi comme un éventuel bonus.
Le film est évidemment une réflexion sur l'Humain, une dénonciation de son pouvoir destructeur, une apologie de la patience face au tout tout de suite de la modernité, et in fine un pamphlet écologique et poétique puissant. Mais c'est aussi, et avant tout (et heureusement) une pause, un hommage à la nature et à ceux qui la peuplent et que nous ne voyons souvent pas et, surtout, plus, et qui eux nous voient pourtant. Si l'Homme est bien là, et ce notamment lors d'une superbe séquence avec des enfants tibétains, il faut savoir en détourner le regard et voir "au-delà".
La Panthère des Neiges prend pour philosophie et méthodologie esthétique le mode opératoire de l'affût, et étire le temps pour mieux le figer, et en ausculter les moindres soubresauts, les moindres tressaillements. Par son économie de mots, et la beauté du texte de Tesson, aussi pertinent, drôle que poétique, le film saisit et captive son spectateur, pour ne lui faire ressentir que la beauté, et la lui proposer, dans sa pureté absolue, parfois aride, parfois même éprouvante par le silence qu'elle installe et la sensation de médiocrité et de petitesse qu'elle impose.
Ainsi le film se fait plus globalement un fantastique objet de réflexion sur le regard, celui qu'on pose, celui qu'on détourne, celui qu'on affine avec l'attention. Le spectateur, tout comme Tesson, devient lui-même apprenant face aux images kaléidoscopiques des superbes paysages rocheux, et entre dans un jeu permanent de découverte, baladant son regard dans les images comme immobiles mais qui fourmillent pourtant de vivant, d'aminaux qu'il s'agit de chercher et de trouver, camouflés qu'ils sont dans leurs habits d'hiver et de sable.
En convoquant ainsi le spectateur, et en regardant des regardants, des scrutants, Marie Amiguet lui fait une proposition, et l'inclut au voyage, en faisant un acteur plus qu'un simple réceptacle à beauté ; à lui de la déceler, de savoir y être attentif.
Le film se double également d'une superbe réflexion sur le travail de l'artiste, en incluant la poésie de l'écrivain et les clichés du photographe, impressionnants. Se construit alors une pensée du beau, une véritable spéculation sur le travail artistique, concluant finement et inévitablement à deux écoles : celle qui se focalise sur le beau, et celle qui creuse le désespoir.
Le film a choisi la première, et il ne manquait que Warren Ellis et Nick Cave, ces peintres grandioses, pour accompagner de leur lumineuse et fragile musique ce documentaire qui sonne comme un grand moment de cinéma et dont on ressort profondément ému.