Nous vivons dans un siècle de cinéphilie bénie, qui nous permet de redécouvrir par le biais d’amateurs de tout poil des petits chefs-d’œuvre vite tombés dans l’oubli. Prenons La Panthère Noire, victime de la presse à scandale britannique, du fait de l’impossibilité présumée de tourner un film sur un tueur en série sans être « répugnant ». Un film maudit, dont la presse a tout de même réussi à deviner le caractère osé…
En effet, on ne peut pas le lui enlever, Ian Merrick a su capter l’essence de Donald Neilson avec un sens cinématographique très aigu. Nous devinons ainsi en un unique plan-séquence calme et silencieux le passé tourmenté de vétéran du braqueur, nostalgique de ses décorations, de son expérience du terrain et de sa maîtrise du matériel militaire ; en une séquence forestière ses aptitudes physiques ; en une autre la fierté qu’il tire des comptes-rendus de ses méfaits par les journaux ; sa situation familiale désastreuse, entre sa sévérité tyrannique et la soumission passive de femme et fille… Sans être un film à prétention psychologique, son plus petit effet cinématographique en a une portée impressionnante ; Merrick nous fait plonger dans la psyché de Neilson avec un réalisme sidérant.
Les faits réels retranscrits par le scénario s’abstiennent ainsi du moindre sensationnalisme : tout est filmé et montré uniformément, avec crudité, dans une cadence lancinante et avec une précision confinant à la torture psychologique ; nous sommes happés dans la spirale meurtrière de Neilson sans même que le point de vue du métrage se confonde avec celui du braqueur. Autour de lui, l’Angleterre est austère, angoissée ; que ce soit le jour ou la nuit, la grisaille et le désespoir règnent sur les très rares badauds comme sur les quelques propriétaires de bureaux de poste braqués et très vite laissés pour morts. Merrick rend par l’image autant la psychologie de ses personnages que le dénuement d’une Angleterre en pleine crise économique, la même qui compliqua la recherche des fonds pour réaliser ce film.
Pour parachever cette vision particulièrement pessimiste de son actualité, La Panthère noire se livre également à une critique sociale à base d’une police bien incapable de discrétion et de rapacité journalistique. Très chichement représentées, leur implication dans la trame du film est pourtant significative, car cause de la mort de la jeune Whittle. La réalité historique des événements évoqués rend bien sûr cette critique d’autant plus crédible, et elle parvient à ne pas basculer pour autant dans l’attaque gratuite : concise, précise, claire et directe, on n’en a pas besoin de plus. Et Merrick ne tombe même pas dans le piège de rendre Neilson rongé par le remord lorsqu’il tue son otage ; il l’avait dit, il le fait, guère besoin d’en montrer plus.
Un film tellement maudit que Ian Merrick n’en réalisera pas un autre en 23 ans, et de bien moindre qualité… Un réalisateur aussi maudit que son film, au talent évident, mais victime de l’impitoyable réalité du monde du cinéma.