La Party
7.3
La Party

Film de Blake Edwards (1968)

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La Party figure en bonne place dans mon panthéon personnel. Pourquoi compte-t-il, avec Les dieux sont tombés sur la tête et Un poisson nommé Wanda, parmi les trois films “les plus drôles du monde“ ? Pour avoir souvent médité sur cette question, c’est probablement parce que j’avais, ce jour-là, pénétré dans la salle de cinéma vierge de toute attente. À l’inverse, les découvertes des meilleures prestations de Funès, Pierre Richard ou des Monty Pithon étaient précédées d’une rumeur favorable. Rire par surprise est un sentiment délicieux. Trois fois, j’ai ri de me voir rire. J’ai ri de les entendre rire. La salle riait à gorge déployée, nous transportant ailleurs, dans un monde irréel. Instants magiques et, par nature, rarissimes. La descente est brutale et douloureuse. J’ai revu à plusieurs reprises Les dieux et Wanda, avec plaisir certes, mais sans passion. Telle la foudre, la magie ne tombe pas deux fois au même endroit, ce qui semble confirmer mon intuition initiale.


J’ai vu La Party… il y a vingt ans. J’hésitais à le revoir, jusqu’à vendredi, jour où un ami m’offrit un exemplaire du DVD. Comment valider ma “Loi de la surprise“ ? Sinon, en la testant sur deux de mes filles. Je leur ai annoncé une comédie, sans en dire plus. Vous connaissez le pitch : Peter Sellers est Hrundi V. Bakshi, un acteur débutant d’origine indienne, qui se voit confier un petit rôle dans une superproduction américaine. Dès les premières images, il joue un clairon indigène qui, bien que mourant, trouve un dernier souffle pour signaler à ses camarades un danger. Il claironne. Les insurgés le mitraillent, il s’effondre dans un dernier soupir tonitruant… Puis, dans un effort déchirant, se relève et lance une note que l’on espère ultime. Je ris, quand ma plus jeune fille intervient :
- Papa, c’est pas drôle.
- Si.
- Non, il souffre.
- Tu as raison. Je comprends ta surprise, vois-tu : il fait semblant.
- Je sais bien qu’il ne souffre pas pour du vrai – sous-entendu, je ne suis pas stupide – mais, c’est trop triste.
Une centaine de rebelles tente de le faire taire, appuyée par une mitrailleuse Gatling. Notre héros ose une nouvelle interprétation du guerrier mourant. N’est-il pas encore temps de troquer Blake Edwards par un consensuel Miyazaki ? Piteusement je tente :
- Il surjoue. Tu comprends, il en fait trop.
Machou est perplexe. Je suis sauvé par le réalisateur qui coupe la scène, à mon sens hilarante. Les deux séquences suivantes me sauvent la mise, Bakshi est manifestement maladroit.
- Je comprends, papa, c’est Charlot.
- Pas tout à fait.
La suite est plus originale. À la suite d’un quiproquo, Bakshi est invité à diner par le général Fred Clutterbuck (J. Edward McKinley), le richissime producteur du film qu’il a si effacement contribué à saboter. Nous sommes plongés au cœur d’une soirée mondaine : un grand bourgeois débonnaire reçoit ses amis et courtisans. Des hommes mûrs courtisent de jeunes premières, qui espèrent faire carrière. Rien de neuf sous le soleil. Clutterbuck semble plus préoccupé par ses cigares, sa collection de tableaux et son confort, que par la bonne marche de ses affaires.
- La maison est très belle.
- Oui, Mache.
- Elle est très grande !
- Certes.
Je sens que mes filles la trouvent à leur taille. Pourquoi sommes-nous si petitement logé ? Le sujet est délicat.
- Je suis déçu. Ne voulez-vous pas qu’on l’échange par Porco Rosso.
- Non (un seul cri).
- Ou par Le voyage de Chihiro ?
- Non papa, tais-toi !
- Ok.
A la grande surprise des filles, Bakshi n’est pas Charlot. Son comique est plus subtil. Il bouge, parle, observe et accumule les maladresses, mais en évite d’autres. Plus que Charlie Chaplin, La Party évoque Mon Oncle avec la maison robotisée, les jeux d’eau, l’industriel et ses proches. Bakshi est certes plus gracieux que Tati, son sourire est proprement désarmant. Mais, Bakshi et Tati sont deux grains de sable, deux inadaptés à la vie moderne. Malgré tous leurs efforts d’intégration, leurs initiatives s’avèrent maladroites, leurs explications incompréhensibles. Pis, leur présence agit comme un stimulus entropique. Chaque acteur, figurant ou principal (avec une mention spéciale à Steve Franken, le serveur saoul), se sachant observé par nos hurluberlus est comme contaminé. La maladresse devient contagieuse, les incidents s’accumulent, sans pour autant tourner à la farce. Blake Edward joue avec l’idée de la grosse catastrophe. Le spectateur se prépare à l’inondation déferlante, à l’effondrement total, mais il n’assistera qu’à une improbable tempête de mousse. Mes deux filles semblent à l’unisson :
- C’était bizarre ton film.
- C’était bien ?
- Oui, c’était drôle.
- C’est tout ?
- Oui.
- Alors au lit.
Je suis déçu. La “Loi de la surprise“ est manifestement nécessaire mais pas suffisante au “foudroiement burlesque“. Le rire demeure un mystère et Blake Edwards reste l’un de ses plus grands maîtres.

Step de Boisse

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