Nouveau western : moderne, féminin, iranien...

« Afrooz est une lionne », scandent les supporters en délire, devant les buts marqués par leur championne lors d’un tournoi de futsal. De fait, Afrooz est une battante, gérant ses succès à grand renfort de posts sur les réseaux sociaux. Le spectateur s’attend d’autant moins à la voir à terre, quelques scènes après l’ouverture triomphale. Plaquée au sol, interdite de vol à l’étranger par un mari avec lequel elle est pourtant en instance de divorce, mais qui trouve, dans ce droit que lui accorde la législation iranienne, le moyen de se venger de l’éloignement que lui oppose celle qui est encore son épouse.


Soheil Beiraghi, dont c’est ici la seconde réalisation, après « Moi » (2016), a voulu son long-métrage comme un western moderne, urbain. Afrooz - incarnée par une Baran Kosari aussi fonceuse, presque masculine, que délicate et sensible (donc en conformité avec les qualités qui sont culturellement associées aux femmes...) - est son « pale rider », présente dans presque tous les plans mais prisonnière de sa monture puisque, dans l’Iran contemporain, celle-ci a la forme d’une voiture. Lancée dans la trajectoire de son destin, Afrooz se retrouve de plus en plus fréquemment enfermée dans cette fragile capsule, projetée dans une fuite en avant qui l’isole de plus en plus et qui occasionne une scène de course-poursuite digne de l’ancêtre nord-américain, « Duel » (1971), de Spielberg, avec ici les phares poursuivants qui luisent comme des yeux démoniaques dans la nuit urbaine.


Malgré ce détour ponctuel par le thriller, l’une des grandes qualités du film est de ne pas tomber dans la caricature. D’abord sans visage, à l’image de toutes les instances légales qui n’apparaissent pas dans le contrechamp, évoqué à la troisième personne à travers l’interdiction de mobilité qu’il fait soudain peser sur sa femme, l’époux surprend par sa grande beauté, lorsqu’il apparaît enfin à l’écran. Le comportement de brute épaisse, despotique et sommaire, se trouve alors associé à des traits fins et élégants, à un corps svelte et souple. Ceux de l’acteur Amir Jadidi, que l’on découvre ici. Et les regards énamourés que finit par porter sur lui Afrooz, dans l’unique scène qui les réunisse au creux de l’espace intime de leur appartement, ses pleurs cachés, aussi, semblent indiquer qu’une autre histoire aurait pu s’écrire entre les deux membres de ce couple. En effet, Yaser, le mari délaissé, présentateur vedette à la télévision, se révèle encore douloureusement épris de son épouse, dont il a contribué à lancer la carrière sportive... Faits et sentiments qui donnent une couleur inattendue à son acharnement législatif initial et lestent son personnage d’une part d’humanité et de détresse dont on perçoit avec plaisir qu’elles ne sont pas seules réservées à la figure féminine.


Ce constat vient opportunément à la fois complexifier et radicaliser le propos : en restituant aux membres du couple les liens d’amour qui les unissaient, Soheil Beiraghi n’en souligne que plus magistralement la toxicité d’un arsenal législatif qui étouffe dans l’œuf ce qui pourrait vivre encore et dresse l’un contre l’autre deux êtres qu’une loi dénaturée, plutôt que leurs sentiments, oppose radicalement.


Nouvel hommage à la pertinence de la déclaration fétiche de Kamel Daoud, recueillie par le film nécessaire de Merzak Allouache, « Enquête au Paradis » (2018) : « Là où la femme est libre, les peuples sont libres. Là où la femme est maudite, les peuples sont sauvages ». Au-delà d’un plaidoyer pour la cause des femmes dans les pays régis par la charia, « La Permission » rappelle, de façon aussi sombre que lumineuse, que les seconds à faire les frais de l’asservissement des femmes, après les victimes désignées, sont les hommes eux-mêmes...

AnneSchneider
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le 30 nov. 2018

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Anne Schneider

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