L’association entre le radin mais astucieux directeur et producteur Roger Corman et l’imaginatif scénariste Charles B. Griffith fit des ravages dans le paysage de la série B des années 1950 à 1970. Leurs films ont ce charme désuet des films fauchés mais sympathiques, à l’image d’Attack of the Crab Monsters, par exemple.
Mais en 1959 avec Un baquet de sang, leur collaboration donne naissance à un petit bijou d’humour noir, sous ses allures de film horrifique. Avec La petite boutique des horreurs, ils poursuivent dans cette voie, modifient quelques dosages et on rit plus qu’on ne frémit, mais sans le regretter.
Les deux films partagent d’ailleurs un certain nombre de traits communs. La figure centrale est un personnage un peu simple, rabaissée par son patron (Mel Welles, amusant), un petit fleuriste pas insensible aux charmes d’une autre employée, Audrey (charmante et ingénue Jackie Joseph). Seymour est joué par Jonathan Haze, acteur fétiche de Roger Corman, avant tout dans l’exagération de sa maladresse, proche d’un Jerry Lewis de la même époque.
Comme le Walter du Baquet de sang, Seymour va trouver ce qui peut le distinguer d’une vie banale et médiocre, ce qui peut lui apporter récompense, amour, et pour son patron une publicité qui paye, avec une petite plante d’abord bien frêle, qu’il baptise Audrey Jr. Mais cette créature florale est une variante carnivore, qui veut du sang, ce qu’elle exprimera vocalement. Seymour se retrouve empêtré dans les conséquences de cette plante bien trop gourmande, toujours plus grande, toujours plus dangereuse.
Le ton est bien plus déluré, et le film malgré sa courte durée prend le temps d’exprimer ses personnages secondaires assez loufoques, à l’image de la mère de Seymour, hypocondriaque majeure mais affable, qui cuisine ses médicaments pour le repas, ou du dentiste, une connaissance plus proche du psychopathe que du médecin. Même Dick Miller, le Walter de Un baquet de sang, a droit à quelques scènes, comme client du fleuriste qui vient manger sur place les fleurs. Un jeune Jack Nicholson incarne un client du dentiste, lui aussi bien dérangé.
Ce qui arrive aux victimes de Seymour est bien cruel, mais on rit pourtant avec ce film, d’un second degré bien rafraichissant. Les dialogues de cette petite boutique sont d’ailleurs assez bien ficelés, d’une grande ironie lors de certaines scènes, avec parfois de magnifiques répliques échangées lors des scènes où l’étrangeté amusée du film se déchaine.
Il est de toute manière bien difficile de prendre au sérieux ce film, tourné rapidement et cela se ressent, au budget réduit mais malgré tout bien exploité. Les décors semblent bien artificiels dans les scènes d’intérieur, même si quelques scènes dehors sont plus réussies, dévoilant des rues fatiguées, une population de la nuit bien présente, joueurs, voleurs ou prostituées, qui feront le repas d’Audrey Jr. Quelques problèmes de cohérence dans les plans sont à souligner, sans que ce ne soit trop dommageable. Un baquet de sang était plus peaufiné de ce côté, lui qui recherchait parfois une esthétique, ce que ne fait que très rarement celui-ci.
Heureusement, la star du film, cette vorace plante carnivore se révèle assez convaincante. Bien qu’on puisse voir en quelle matière elle est faite, cette grande gourmande captive l’attention, des personnages du film au spectateur. Ses trucages se voient, qu’elle puisse parler semble de trop, mais il y a dans cette créature une exagération qui amuse autant qu’elle fascine. Il suffirait de ne plus la nourrir pour que tout s’arrête, mais ce n’est évidemment pas si simple.
La petite boutique des horreurs est donc une sympathique série B, au second degré certain, à la loufoquerie assumée mais aussi à l’humour noir réjouissant. Avec ce film Roger Corman et Charles B. Griffith s’amusent des séries B qui se prennent trop au sérieux, pour le plus grand plaisir du spectateur.
Le film de 1960 a marqué son temps et est devenu culte, de quoi offrir une belle postérité. Une comédie musicale en sera tirée en 1982, adaptée dans un film mythique par Frank Oz à la distribution épatante, point de départ d’une multitude de dérivés dont une série animée.
Audrey Jr n’est peut-être plus toute fraîche, mais elle fait maintenant partie de la pop culture.