Ce film a été un assez gros choc moral premièrement, et m'a beaucoup touché dans la relation qu'entretiennent les personnages.
Je vais pas vous cacher que cette mise en scène sobre et représentative, qui laisse faire les dialogues et mise plutôt sur les visages et la lumière des intérieurs m'a beaucoup plu. Pas besoin de commentaire sur les dialogues, je les trouve magnifiques.
Par rapport au choc moral : on en arrive à questionner la légitimité de l'identité en tant qu'état immuable des choses : est-ce dû à chacun d'avoir une identité ? Est ce que l'identité n'est pas une cage sociale plutôt qu'un merveilleux cadeau de notre individualisme libéral? Et, surtout, est ce que chacun doit rester à sa place, respecter son identité ?
"Jedem das seine" comme diraient lugubrement les portes de Buchenwald. C'est un peu la tension de ce film qu'on découvre être une véritable tragédie socialiste derrière un scénario qui en vitrine avait simplement à coeur de présenter la trajectoire d'une jeune femme.
Mais toutefois, comme dans le sermon du pasteur, la cruauté du monde est faiblement brisée par l'amour et l'affection, que la réalisatrice a, avec subtilité, et sans tomber dans la naïveté, décidé de faire primer sur la justice, la société, et les normes sociales.
Ainsi, la valeur de l'identité aura été profondément ébranlée, jusqu'à devenir totalement secondaire : le coeur s'en fiche bien de l'état-civil.
A ce propos, c'est un truc qui m'avait beaucoup plus dans The Last of Us II (oui rien à voir haha), mais le fait qu'un film brouille les pistes morales de sa narration est un super procédé. Je m'explique : en règle générale, on plaint la personne qui se fait voler son identité. Ici, on a pas trop le choix que d'empathiser au moins un peu pour cette prostituée sans avenir qui profite pour la première fois de la vie. Et si l'usurpée est une victime, et qu'on empathise également sa déchéance, le film montre surtout une déchéance sociale, et l'ambiguité morale que représente cette défense d'identité. Le film te dis donc un peu quoi penser, ou plutôt, il a un discours assez explicite et tranché, mais il ne te le livre pas avant de t'avoir fait douter de ta propre morale et surtout ce discours est totalement subversif : donc un peu de pédagogie magistrale ne fait ici pas de mal ^^.
Leodegar, le 3 décembre 2023
Modifié après quelques réflexions le 16 janvier 2024.