La grande question que j’me pose devant ce genre de truc, c’est combien de temps un machin pareil restera potable ? Quelle durée de vie présager pour une oeuvre de ce type ? Un film de ce calibre peut-il prétendre à une quelconque pérennité ? C’est dès la scène d’intro que cette question récurrente assaille, alors que singes, cervidés et ours s’entremêlent dans une orgie numérique. Le cinéma, enlisé dans sa capacité à tout montrer, à matérialiser les idées dans des polygones en série, se trouve contraint à l’éphémère, à l'ébahissement fugitif, pris en étau entre la grosse sensation d’ordinateurs bien burnés et le bourgeon d’une lassitude devant une répétition qui ne prend plus. Les effets sont toujours plus beaux, plus fins, les formes s’essaient à convaincre, et c’est à l’instant où nous aussi, on voudrait s’essayer à y croire qu’on se trouve devant le présage d’un avilissement prochain. Nos yeux ne sont plus dupes : Le numérique c’est pratique pour faire des cabrioles “ressemblantes”, mais un bon maquillage de John Chambers, ça faisait un de ces charmes qui, lui, touchait à l’intemporel.
Reste que j’arrêterai là la comparaison avec la première adaptation de ce joyau de la SF. Je n’ai d’ailleurs jamais sombré dans des comparaisons excessives comme il en pullule un peu partout, trouvant ici davantage une histoire à part d’invasion animale, certes lourdement référencée mais trouvant par quelques astuces scéniques un potentiel envol vers une belle indépendance (de celle qu’on ne retrouvera à aucun moment dans les récentes reprises, qu’elles soient sauriennes ou robotiques).
Le premier donc était une surprise totale, dirigé par cet inconnu de Rupert Wyatt qui réussissait de manière totalement incongrue à dresser une mixture sans excès, une montée en saveur finement dosée et l’élaboration d’un drame animal d’une efficacité aussi frappante que sobre. Et tout mon respect va à cette sobriété qui faisait le film précédent, relevé d’un zeste à peine d’action sur tout un ronflement carcéral. Cet enthousiasme passé, il fallait s’affairer à s’offrir le visionnage de cette suite, mais il aura fallu attendre jusqu’à ce soir… Ce bordel est réalisé par Matt Reeves, auteur de cette infamie de Cloverfield. J’imaginais déjà des bonobos poursuivant une grappe de jeunes connards filmés par une caméra dans une machine à laver. Mais en fait non.
Ce film m’a surpris ! Et un gros blockbuster vendu rayon mal-bouffe qui surprend aujourd’hui, c’est quand même rare. Une seconde fois, le renouveau des singes colériques sait proposer quelque chose de “différent” qui sort la tête de la mélasse gluante collée sur les paravents des cinémas. Des personnages relativement loin des constantes actuelles, arborant des gueules presque fades derrière leur masques tannés, délavées, les gueules de tout l’monde, tout à fait crédible dans cette fin d’humanité. Leur reflet poilu en face, la société simiesque évolue dans des soubresauts de mer agitée, propre à la naissance d’une civilisation en quête d’identité. Le trailer promettait une suite conne et bourrine, sculptée dans le plus simple manichéisme où méchants humains attaqueraient gentils singes, mais il en va légèrement autrement, dans des reflux de ressentiments un tantinet plus complexe. Rien de très exceptionnel certes, mais cette construction en face à face, ce mimétisme bipède, ces répétitions avec et sans poils baignaient dans un profond pessimisme qui fait plaisir à voir (bah ouais), d’un peu de cette crasse profonde, de cette amertume plus résignée que terrifiée face à l’évolution qui délivre au film une profondeur (un léger sous-sol) plaisamment inattendue. Docteur Jekyll presque mourant, le souffle court, résolu à prendre une retraite désabusée face aux pressions envahissantes d'un M. Hyde sans cesse grandissant.
Et je reviens sur mon intro pour parler de la beauté des paysages qui embrasse ces macaques numériques et les nimbe d’une photographie aussi impersonnelle que finalement efficace, faisant de la nuit et des rais de lumière une arme pour dessiner des faciès qui prennent au tripes, bercés par un rythme lancinant, couvant des floraisons de grasse moisissure. Cette armée de l’ombre avait de la putain de gueule, à l’image de son nouveau roi, Koba le barbare, bossu, hirsute et borgne. Incarnation de la folie pure, créature ingrate germée de la démence des hommes, résidu difforme des pires vicissitudes de ce que les gardiens du savoir appellent l'intelligence et la civilisation, et qui trouvait quand même le moyen de se payer la plus charismatique des trognes. Dommage.