Et si l’on allait chercher la lueur restante dans les pages les plus sombres de l’Histoire ? En adaptant le conte de Jean-Claude Grumberg, Michel Hazanavicius aborde le sujet le plus difficile qui soit, la Shoah. Mais en s’initiant au film d’animation, il trouve un juste équilibre, où la musique, le trait du dessin et les figures archétypales de la famille tracent un contre-courant face aux torrents de haine. Une cabane, un bûcheron, une bûcheronne, un chien : il fallait une modestie aussi poignante pour mettre en lumière la force encore vivace de l’humanisme.
Michel Hazanavicius, qui s’est essayé à un grand nombre de genres durant sa carrière, ne se prédestinait pas à un sujet aussi lourd que la Shoah. Et c’est, comme souvent, par le détour qu’il a trouvé sa voie. Grand spécialiste du pastiche (des films d’espionnages, de zombie, de Godard…), il a trouvé dans le conte de Grumberg, grand ami de ses parents, le juste ton lui permettant d’éviter le récit didactique et scolaire. En renouant avec les ressorts du récit fondateur, il dépouille son récit de bien des artifices, et se concentre sur des valeurs fondamentales, à commencer par les voix de ses comédiens (les formidables Dominique Blanc, Gregory Gadebois et Denis Podalydès) au premier rang desquelles on gardera très longtemps en mémoire celle de Jean-Louis Trintignant qui assure ici, au soir de sa vie, la fonction de narrateur.
Tout procède ici par réduction : pour ce couple modeste vivant laborieusement dans la forêt, la blessure de l’Histoire de matérialise par le passage des trains, convois mystérieux qui déchirent la nuit pour aller en atteindre une autre, celle de l’Humanité toute entière. Mais il s’agira, le plus souvent, d’en rester au symbole : des personnages sans prénom, des victimes qualifiées de « sans cœur » par ceux qui les haïssent, et l’irruption d’une vie fragile qui va réveiller chez les bons - les Justes- la plus simple pulsion de vie et de solidarité.
Toute la réussite du film tient à ce parti-pris : ne jamais ignorer la nuit environnante, mais y traquer les étincelles qui pourraient la rendre habitable. L’animation, qui tranche avec le photoréalisme et l’image de synthèse en vigueur, lorgne du côté des estampes japonaises pour donner vie aux dessins initiaux, tous créés par le réalisateur. L’esprit littéraire du conte est ainsi maintenu, et se poursuit dans une série de scènes volontiers silencieuses, ou la spontanéité des comportements l’emporte pour faire surgir l’instinct maternel chez une femme usée par la vie, la tendresse chez un bûcheron bourru, et la loyauté d’un chien pour cette « précieuse marchandise » venue insuffler la vie.
Michel Hazanavicius prend donc soin de procéder par contrastes : la partition délicate d’Alexandre Desplat accompagne cette ligne de crête, où l’on fait cohabiter l’émergence de l’amour à quelques encablures de l’enfer sur terre. La délicate représentation d’Auschwitz se fera avec une autre modestie, celle de l’effroi face à une mort organisée qui se matérialisera par quelques visions cauchemardesques, mais surtout une vaste ellipse par fondu au noir. L’attention portée à la nature environnante joue sur cette ambivalence : la forêt du conte est autant le lieu qui protège l’enfant qu’un grand rempart d’indifférence à ce qui se joue dans le camp, soulignant cette idée tenace que l’être humain est le seul à pouvoir donner une direction aux pulsions de vie, vers la destruction par la peur des autres, ou l’altruisme par amour. Des leçons universelles et modestes, plus que jamais nécessaires à l’heure où le flot continu des paroles brouille bien des repères.
(7.5/10)