Sérieusement, comment est-ce possible?
Fraude, faux conte, bien que l’on y retrouve tous les artifices du conte avec « il était une fois », un narrateur, une présentation : un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. C’est le début, mais très vite, le film d’animation bascule au premier degré. Concrètement, on est en Pologne lors de la Seconde Guerre mondiale. Vous l’aurez compris, c’est un film sur la Shoah.
Et la question qui se pose, toujours d’actualité depuis l’excellent film de Claude Lanzmann, est celle de la représentation d’un événement historique aussi tragique que la Shoah, sans l’affaiblir, sans dénaturer l’événement par du pathos, par exemple. Là où Lanzmann réussit un grand film, malgré ce que l’on peut penser du personnage, c’est-à-dire un homme narcissique et communiste radical, il parvient à faire un chef-d’œuvre. En réalité, je préfèrerais vous parler de son film. Je vous encourage vivement à le voir, malgré sa longueur, environ huit heures il me semble. Là où il est fort, c’est qu’il parvient à nous faire comprendre ce qui s’est passé. On se sent contemporain de 39-45 parce qu’il fait parler tous les acteurs de cette période : les tortionnaires, les conducteurs de train, les paysans, les villageois. Il n’oublie personne et on comprend l’époque, surtout parce qu’il pose les bonnes questions. On est aussi sur les lieux, ce qui veut dire qu’il ne les fait pas parler dans un studio ou ailleurs. La question du lieu est essentielle dans son dispositif filmique, et ça marche.
Lanzmann avait dit en gros, parce que je n’ai plus la citation exacte en tête, qu’après lui, il n’y avait plus rien à dire sur le sujet. Je pense qu’il a raison. Tout le reste est destiné à être une redite, mais affadie. Et ce qui est fade dessert son propos et le dénature. C’était le cas avec "La Liste de Schindler". Lanzmann avait écrit un papier sur « ce film Holocauste, la représentation impossible » (Le Monde du 3 mars 1994). Je cite : « En voyant "La Liste de Schindler", écrit Lanzmann, j'ai retrouvé ce que j'avais éprouvé en voyant le feuilleton "Holocauste". Transgresser ou trivialiser, ici, c'est pareil : le feuilleton ou le film hollywoodien transgressent parce qu'ils "trivialisent", abolissant ainsi le caractère unique de l'Holocauste. » C’est sa position et je m’y range, je suis convaincu.
Donc le film de Michel Hazanavicius, disons-le, est une cochonnerie.
Première chose, il utilise l’animation et le genre du conte, mais pour s’adresser à qui ? Le film est trop dur pour un jeune public, et je ne dis pas cela parce que c’est de l’animation. Puis pour des adultes, le film manque complètement de subtilité. C’est le type de film sentimentaliste comme on en a eu plein et je trouve ça même honteux parce que ce sont des films conçus pour faire entrer de l’argent. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, j’ai un exemple en tête, "Monsieur Batignole" avec Gérard Jugnot. Mais des films qui font ça, il y en a plein. Dont "La plus précieuse des marchandises". Je vous passerai les détails, mais rien que le montage est d’une lourdeur.
Exemple: on a un type qui tient des propos antisémites. Je précise que Hazanavicius n’utilise jamais le mot juif, il préfère les appeler les « sans cœur ». Pour quelle raison ? Bref, on a un type avec une petite moustache qui nous rappelle un peintre autrichien. Niveau subtilité, vous repasserez. Et tout le film se présente de cette manière. Le seul personnage que j’ai aimé, c’est l’ancien combattant, un beau personnage, mais ça s’arrête là.
Puis c’est long malgré ses 1h20. Le film m’a épuisé. Il tire en longueur des scènes pour rien, pour donner de la gravité à la situation mais sans rien dire.
Autre chose sur l’animation : il y a quelque chose de paradoxal à faire appel à cette technique et à rechercher une expression sur des visages animés, alors que le choix d’un acteur serait plus judicieux puisqu’on aurait une performance, une subtilité. Là, avec l’animation, c’est se tirer une balle dans le pied. Les visages seront par principe inférieurs aux émotions que peut transmettre un jeu d’acteur. La force de l’animation, c’est de pouvoir explorer l’espace et ce n’est pas ce qu’il fait.
Que dire de plus, c’est un film sombre et, vu le sujet, vous allez me dire normal. Mais il ne sert à rien. Je ne le conseille pas du tout et je ne comprends pas pourquoi il a été présenté à Cannes.
Seule bonne note : la voix de Jean-Louis Trintignant, que nous aimons tous.