A la fin d'une œuvre qui, une heure vingt durant, laisse le cœur en miettes, la voix chevrotante et bouleversante de Jean-Louis Trintignant nous indique que tout cela, finalement, n'est pas réel et n'a jamais eu lieu.
Que ce sont, pour certains, des histoires.
Que l'homme n'a jamais été capable de telles horreurs.
La Plus Précieuse des Marchandises adopte donc la forme du conte pour enfants. Et du film d'animation. Parce que ce qui n'est jamais arrivé est malgré tout trop dur à regarder en face.
Dans lequel l'innommable reste d'abord hors-champ, au-delà d'une ligne de chemin de fer en forme de frontière qui ne sera jamais franchie par un bûcheron et son épouse, qui survivent en plein cœur d'un hiver rigoureux et cruel.
Un hiver d'un blanc le plus pur, constamment strié par la forêt, les ombres et les traits épais qui donnent vie à chacun des personnages de l'histoire, dans un film rappelant le style, par exemple, des Hirondelles de Kaboul.
Un hiver éclairée d'une lumière vacillante : celle d'une bonté sans espoir de retour, d'une humanité délicate. Le conte de Michel Hazanavicius côtoie le merveilleux quand il capture un instant d'intimité qui réchauffe le cœur et ferait presque sourire, dans un jeu de cache-cache entre des adultes qui ne se parlaient plus. Ou quand il représente toute la simplicité de l'émerveillement d'une petite fille face à l'expression de l'amour de son papa d'adoption.
Avant que La Plus Précieuse des Marchandises ne bascule dans la représentation de ce qui n'est pourtant jamais arrivé. Si La Zone d'Intérêt fondait l'horreur dans le quotidien tranquille d'un fonctionnaire du génocide, sans jamais montrer le résultat tangible de son action, le conte embrasse quant à lui l'indicible. La souffrance et la peur dans des wagons changés en cachots. Les corps dangereusement amaigris. Les cadavres momifiés. Les envies de suicide.
Et ces visages atrocement déformés et silencieux, comme dans Le Cri tel que peint par Edvard Munch.
Se délestant peu à peu de la parole, La Plus Précieuse des Marchandises donne à voir. Toute l'horreur dont est capable l'homme et, à travers une vitrine, le visage proprement monstrueux de ce qui n'a pourtant jamais eu lieu.
Sans doute aurez-vous encore l'occasion de lire quelques irréductibles cramponnés aux débats d'arrière-garde de la représentation de la Shoah. Qui vous parleront des arbitraires règles d'un vieux cacochyme vociférant à l'abjection.
Sauf que La Plus Précieuse des Marchandises semble faire comprendre que ces précautions d'hier se doivent d'être dépassées. A l'heure où les voix disparaissent et où les témoignages s'effacent dans un oubli volontaire coupable et criminel. A l'heure où les temps sombres tendent à vouloir se répéter.
Mais la puissance de cette histoire simple, même par la négation et de son existence et le silence, ne saurait être réduite. Car elle palpite, comme la pulsion de vie acharnée qu'elle porte à l'image.
Behind_the_Mask, l'infini à portée des kaddish.