La Poupée Brisée est un drôle de film. Tour à tour comédie et mélodrame, il siège perpétuellement les fesses entre deux chaises au sein des deux genres tout en s'enlisant dans une sombre relation sadomasochiste qui n'a ni queue ni tête.
Adaptation d'un roman de Damon Runyon, ici coproducteur, l’œuvre narre le parcours d'une chanteuse de cabaret ultra vénale qui rêve d'épouser un milliardaire. Acoquinée à un truand, ce dernier la frappe suite à une dispute et notre héroïne au caractère bien trempé devient paraplégique en chutant dans les escaliers. Abandonnée de tous, c'est un aide-serveur secrètement épris de sa personne qui va consciencieusement s'en occuper, malgré les brimades et les humiliations qu'elle ne cesse de lui asséner.
En incarnant cette femme aussi égocentrique que superficielle, Lucille Ball change ici de registre, à cent mille lieues des rôles romantiques qui ont précédemment forgé sa réputation. Face à un Henry Fonda transi d'amour et se pliant en vingt pour la servir, elle arbore une forme de grâce aussi hautaine que pathétique avec grand talent.
S'il y a problème ici, ce n'est certes pas avec le casting, dont les seconds rôles sont également savoureux, la toujours excellente Agnes Moorehead en tête. Le grand défaut du film provient surtout de son scénario et de la personnalité des principaux protagonistes dont l'analyse passe complètement à la trappe. La raison des sentiments amoureux de ce brave type envers cette véritable peste vénale ne s'explique en rien. Il s'en prend plein la tronche et continue néanmoins d'adorer celle qu'il appelle "Your Highness", tel un soumis masochiste au sein d'une relation D/s.
En découvrant La Poupée Brisée, l'on pense immédiatement au célèbre roman La Femme Et Le Pantin de Pierre Louÿs, adapté au cinéma dès 1929. Mais si l'héroïne dominante de cette magnifique histoire symbolisait ouvertement la passion et le désir des hommes envers l'incandescent pouvoir absolu de la beauté féminine, il n'y absolument rien qui explique ici la passion éprouvée par le personnage incarné par Fonda pour cette chanteuse puérile, simpliste et acariâtre.
Finalement, le film se perd dans les émotions qu'il souhaite faire partager à ses spectateurs. Reste le chouette casting qui sauve indéniablement le métrage d'un naufrage non dissimulé.